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Parcours d’artiste : rencontre avec Dopamine 2000, l’art et la politique

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Parcours d’artiste : rencontre avec Dopamine 2000, l’art et la politique Posted on 11 octobre 2020

Début septembre, j’ai rencontré Dopamine 2000, jeune artiste nantaise. Je l’ai retrouvé au café libraire les Bien Aimés au 2 rue de la Paix. Nanténé de son vrai nom, a exposé tout le mois de septembre au TNT (Terrain Neutre Théâtre). Photo, risographie, texte… L’artiste nous plonge dans l’ intimité de ses proches ou des personnes qu’elle rencontre aux hasard. Son exposition intitulé l’intime est un espace politique comme un autre, met en avant des femmes cis, des personnes non binaires, trans et celles et ceux appartenant aux genres minorisés. Un regard sensible et une démarche politique qui nous a donné envie d’en découvrir davantage sur son travail et son parcours… Rencontre avec Dopamine 2000.

Quel est ton parcours ?

Mon père est photographe et ma mère artiste-peintre, par caprice d’enfant je ne voulais pas faire comme eux. A la base j’écris, j’ai commencé très jeune et surtout au lycée. Je me suis engagée dans une prépa Hypokhâgne, puis j’ai tenté les concours pour les Beaux-arts. J’ai trouvé des professeurs qui croyaient en mon écriture et m’ont permis d’explorer d’autres choses plastiquement. Diplômée en 2016, je suis sortie en faisant principalement du collage et de l’écrit. J’avais un tumblr qui me servait de banque d’images. Je faisais beaucoup de fanzines, mais j’utilisais encore assez peu mes photos.

En sortant, j’ai pris un an de pause dans mon travail. Je bossais avec une ancienne copine de la fac Anne-Claire Simon qui avait monté une galerie à Paris. Finalement, nos parcours divergeaient, on ne pouvait pas composer tout le temps ensemble.

A Nantes, j’ai développé mon réseau militant, ce qui m’a permis de faire beaucoup de rencontres. Aujourd’hui je réalise ma première exposition individuelle.

Ta démarche, elle s’approche de l’art thérapie notamment pour le projet « Que serais-je devenu sans moi ? », tu noues une relation assez intime entre le modèle et l’artiste. Comment tu noues cette relation ? Qu’est-ce qui t’intéresse dans cette approche ?

Le projet « Que serais-je devenue sans moi ? » s’est construit, car j’étais très proche de mes adelphes dont ma petite sœur qui va fêter ses dix-huit ans et ses copines. J’aimais beaucoup leur parler et leur faire de la prévention notamment sur les drogues. Je me suis intéressée à leur vie. De ce fait, je me suis questionnée sur l’adolescence, qu’est-ce que ça veut dire être adolescente aujourd’hui ? Surtout quand on est une jeune femme. J’ai demandé à Adèle la meilleure copine de ma sœur, de me raconter son histoire, sa vie…On a discuté et je l’ai prise en photo. Après, j’ai réalisé ça avec des potes à moi, des gens que je rencontrais, etc…

Le projet se redéfini un peu tout le temps. Actuellement il est en suspend, car il prend beaucoup de temps et d’énergie. J’ai l’énergie, mais plus le temps. Maintenant, je réalise plutôt des portraits de femme cis, de personnes transgenres et non binaires. Je n’arrive jamais avec une liste de question, je les laisse parler. Finalement, les gens aiment discuter. On sent que beaucoup de personne a besoin d’aller voir un psy. (rire) Les sessions sont très différentes, certain.e.s rentrent directement dans le vif du sujet avec parfois des histoires assez dures.

Projet « Que serais-je devenue sans moi ? », crédit : @dopamine2000

Tu t’intéresses surtout aux femmes cis, aux trans, aux personnes non-binaires, pourquoi tu cherches à représenter ces personnes en particulier ?

J’ai commencé mon travail sur les femmes cis en ayant aucune notion sur la construction du genre. Je voulais parler des femmes et notamment de l’adolescence, cette période ne se vit pas de la même façon si on est une fille ou un garçon. La question de la femme n’était pas assez représentée. Puis avec mes recherches et ma déconstruction personnelle, je me suis aperçue que toutes les personnes sur le spectre des genres minorisés avaient peu de place, peu de plateforme d’expression. J’ai donc voulu en savoir plus sur eux. elles, leur quotidien. Tout cela dans un espace « safe ». Au fur et à mesure, je me suis aperçue que j’étais non-binaire et mon art s’est précisé naturellement.

Je n’ai pas l’impression d’être une photographe qui travaille sur le genre. Je pense que des personnes le font mieux que moi. Dans mes derniers portraits mes potes sont non-binaires. Voilà. Je ne fais pas de mise en scène autour du genre.

« Je ne montre pas de manière frontale ce que je veux dire. Je photographie juste des gens qui sont non-binaires, transgenres, «whatever »… »

Pour moi, c’est déjà une autre manière de réfléchir le corps, le quotidien des gens que tu photographies.

Tu dis que l’espace intime est politique… ?

Je pense que l’espace intime est un espace qui n’est pas dénoué de politique. Pendant mes études, on me reprochait de ne pas avoir de limite sur ce que je montrais et ce que je ne montrais pas. Je n’ai pas de pudeur dans mon travail , j’ai toujours aimé créer avec les gens que je fréquentais, mes proches, mes textos, mes trucs…

« Ce qui est le plus intéressant pour un artiste c’est quand tu dis « Je » les gens entendent « Tu ». »

Il y a un vrai travail de transfert qui se fait sur ton travail. L’espace intime est un espace politique au sens documentaire du termes. Lorsque tu photographies l’ intimité des gens tu gardes une trace de leur quotidien.

Il y a quelques années j’ai été très touché par une exposition de Peter Hujar au Jeu de Paume à Paris. Il a réalisé des photos de sa vie, beaucoup de clichés de son entourage, de personnes séropositives… Un milieu à Paris qui est ensuite devenu extrêmement politique, mais lui à l’époque n’avait pas conscience que ça l’était. Il s’est dit « bon il n’y a pas de représentation de ce que je vis, je vais le photographier car c’est mon quotidien, c’est ma réalité. Une réalité importante à garder en mémoire». Il montre qu’il y a un espace politique dans l’espace intime. Qui tu es dans ton intimité, comment tu le gères, être soi, de soi à soi, c’est déjà politique, et c’est important de le photographier.

Texte de Dopamine 2000, Exposition L’espace intime est un espace politique, @Dopamine2000

Est-ce que tu penses aujourd’hui que l’art doit prendre un engagement politique ?

Oui. A mon sens, de plus en plus d’artistes oublient de prendre un engagement. L’art n’est pas un concept vide. Je trouve frustrant de voir dans les biennales, dans les foires internationales des artistes qui n’ont pas conscience de ce qui passe en dehors de leur monde d’artiste. L’art, comme les espaces politiques, réorganise le monde autour de nous. Ce n’est pas surprenant, mais c’est rageant. D’une manière ou d’une autre, aujourd’hui être une femme artiste et travailler dans certaines conditions c’est déjà politique.

Plus tristement, je fais un constat par rapport à l’éducation donné aux jeunes artistes. La manière dont on leur dit de se positionner politiquement. On ne possède pas de notions de l’art et de la politique. Pourtant, on devrait l’enseigner dans les écoles d’art. On a énormément de personnes sur les spectres des genres minorisés qui n’ont pas d’outils pour avancer dans leur cheminement politique intime, dans leurs œuvres.

Beaucoup d’artistes ont été engagé à un moment de leur vie, qu’ils aient participé consciemment ou inconsciemment à la marche politique de leur génération. On a l’impression aujourd’hui que ce n’est plus le rôle des artistes d’être politisé.e.s.

« Si ton art n’est pas engagé à détruire un modèle, tu participes à un système d’oppression, capitaliste, patriarcal et raciste . »

Quel.l.e.s sont les artistes qui t’ont inspiré ?

Les premiers artistes qui m’ont inspiré sont des vidéastes. Toute la vague de cinéma Italien avec Visconti, Rossellini m’ont marqué quand j’étais jeune. Ce sont mes premiers moments de cinéma. Plus vieille, je me suis intéressée aux films français de la décennie des années 60-70. Comme tout le monde, je suis tombée amoureuse de Jacques Demy et d’ Agnès Varda. Aujourd’hui je ressens cette influence dans mes productions notamment sur la façon d’arranger les images et la colorimétrie.

Eternal Sunshine de Michel Gondry ma énormément inspiré sur l’organisation de mes images et sur le travail de mémoire.

J’ai beaucoup aimé le tout début de la photo, comme Newton. Mon père était photographe de mode et j’ai toujours eu une idée de la photo qui était « glacée ». Adolescente j’étais fan de Tim Walker avec des grands décors… Finalement, je n’ai pas fait ce genre de photo, mais je les ai toujours dans un coin de ma tête. Je ne fais jamais de couleur, mais adolescente j’adorais Richard Kern, ou David La Chapelle. Étrangement, ce sont des gens qui m’ont plutôt influencé pour mon travail d’écriture.

En ce qui concerne la photo, je me suis plutôt nourri des artistes japonais des années 1970-80 tel que Daydô Moriyama. C’est un univers photographique en noir et blanc et très underground.

Photo de l’exposition L’espace intime est un espace politique @dopamine2000

La photo qui t’a le plus marqué dans tout ton travail ?

Le cliché de mon pote Max qui est allongé. On était en soirée et tout le monde était bourré. Il est tombé par terre, je l’ai pris en photo. Il y avait une chance sur quinze que ça sorte. Il y a une notion de vitesse, il ne te regarde pas, mais tu l’accompagnes dans ce sentiment d’ébriété et de joie. Ses yeux sont tournés vers une autre personne, il est en train de lui dire beaucoup de chose. Toi tu es là. Tu te sens à la fois inclus et en retrait. J’aime ce sentiment duel. Tu captes un moment tellement sensible et tellement privé. J’adore prendre ces moments-là. C’est l’une de mes meilleures photos, vraiment.

Les photos sont à retrouvées sur le site de Dopamine 2000.

Podcast sur Soundcloud / Musique podcast : Zweeback-GoodLuckPotato – freemusic

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