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Noël : la fête des fêtes / Partie 1

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Étudiante en Master de Philosophie à l'Université de Nantes.
Noël : la fête des fêtes / Partie 1 Posted on 1 décembre 2020
Étudiante en Master de Philosophie à l'Université de Nantes.

Pourquoi et comment
fêtons-nous Noël ?

Fêter Noël est perçu comme une habitude, le fruit de nombreuses célébrations, répétée à chaque fin d’année. Parfois redoutée, et souvent attendue, cette fête mêle certains sentiments et ressentiments, elle réunit plus qu’elle ne sépare, elle clôture une période pour en ouvrir une nouvelle qui est symbole d’espoir. La tradition célèbre une naissance, mais nous pouvons y voir aussi la célébration d’une renaissance, d’un espoir et d’un meilleur à venir. Noël se fête de diverses manières, avec ou sans un grand sapin décoré, auprès de la cheminée ou autour d’une table et d’un repas, en famille ou entre amis. Des traditions se sont créées, que ce soit au travers d’une symbolique religieuse, ou bien au travers de réunions laïques, ou païennes. Ces deux types de traditions partagent néanmoins la même joie : celle d’offrir et de recevoir, de célébrer la vie, de partager et de pardonner. Noël est devenu une fête à part entière, célébrée de manières uniques, d’une façon propre à chaque foyer.

Mais quelles sont les traditions qui nous restent aujourd’hui, produits de siècles de célébrations ? Quelle est la réelle source d’une telle fête : Noël est-il une célébration sacrée et religieuse, ou se fête-t-il plutôt de façon profane ? Il est certain que Noël n’a pas toujours été une fête telle que nous la connaissons aujourd’hui. En effet, nous savons qu’il est temps de se mettre dans « l’esprit de Noël » quand les rues sont illuminées, quand le marché de Noël ouvre ses portes, quand les vitrines des magasins sont décorées. Les cadeaux ne sont plus de simples petites attentions, mais deviennent des obligations ; il faut offrir le plus beau cadeau, espérant en recevoir un de la même valeur. Les enfants doivent écrire une lettre au fameux Père Noël, mythe permettant aux parents d’avoir des enfants calmes et sages durant cette période d’excitation générale. La fatigue de la fin d’année se transforme en panique pré-Noël, pour laisser place à un moment de plénitude et de bonheur intense, suivi rapidement de nostalgie et d’une sensation de vide, de manque. Noël, plus qu’une fête, est devenue une période, rythmant notre vie pendant quelques semaines (voire quelques mois).

Il semble que nous donnons un nouveau sens à cette fête, au-delà de la signification religieuse qu’elle porte. En effet, Noël marque la naissance de Jésus Christ, datée le 25 décembre. Aujourd’hui, environ cinq personnes sur quinze célèbrent cette naissance. Peut-on parler d’un basculement du sacré vers le profane ? Ou alors, s’agit-il fondamentalement d’un premier basculement du profane vers le sacré, pour un retour au profane de nos jours ? Il nous sera nécessaire de revenir sur l’histoire de cette fête (ainsi que sur ses différentes traditions et célébrations) pour mieux comprendre ce qu’elle est devenue au XXIème siècle.

Afin de soulever certaines ambiguïtés qui orbitent autour de cette fête, nous procèderons en quatre étapes : dans cet article, nous en examinerons deux qui permettent de placer un meilleur contexte, et la semaine prochaine nous pourrons étudier les deux autres dans un second article. Tout d’abord, nous irons du côté des racines de cette fête, avec une étude historique et mythologique. Ce qui nous permettra, dans un second temps, de nous intéresser à la question du sacré et du profane : de quel côté penche la balance en ce qui concerne Noël ? Voilà le programme de cet article. Ensuite, dès la semaine prochaine, nous nous demanderons quels sont les effets que procure Noël, en nous tournant particulièrement sur la notion de bonheur. Enfin, pour terminer, nous rencontrerons le mythe du Père Noël au fil des siècles.

Les racines de Noël
et ses symboles

Il est légitime de s’interroger sur les origines de la fête de Noël : est-elle entièrement religieuse, ou bien pouvons-nous y trouver quelques racines païennes ? Noël se fête officiellement le 25 décembre de chaque année, jour qui marque la naissance de Jésus Christ. Néanmoins, cette date aurait été choisie pour d’autres raisons que celle de la naissance du Christ. En effet, d’un point de vue historique, Jésus serait plutôt né aux alentours du mois de mai. Le 25 décembre est tout d’abord la date du solstice d’hiver, où était fêté le “Sol Invictus” (vient du latin, qui signifie « soleil invaincu ») : célébration d’une divinité romaine, apparue au cours du IIIème siècle, où l’on fêtait la naissance du soleil nouveau. Ces réjouissances romaines sont elles-mêmes issues d’autres divinités, en particulier en référence à Apollon (qui, dans la mythologie grecque, incarne, entre autres, la lumière), mais également en faisant allusion à une divinité iranienne, Mithra : Plutarque en parle comme étant apparue aux alentours de 68 avant JC, introduite par des soldats romains. Le Soleil invaincu est ainsi le fruit d’autres divinités et mythologies. Le 25 décembre se voit marqué de diverses commémorations. C’est autour du IVème siècle, plus précisément entre 330 et 354, que l’Eglise choisit cette même date pour célébrer la naissance de l’enfant divin, aussi considéré comme étant « le soleil de la justice » comme nous pouvons le lire en Malachie 4:2 (Livre de Malachie, Ancien Testament).

C’est surtout pour combattre les fêtes païennes du solstice d’hiver que la religion chrétienne place délibérément cette naissance le même jour, de plus cette date correspond parfaitement à celle du décès du Christ, le 25 mars, jour de l’équinoxe de printemps. Le soleil s’est levé, et le soleil se recouche : fort en symbolique, le choix du 25 décembre n’est donc pas innocent, mais bien au contraire très réfléchi. On peut voir ici une inspiration astronomique : la plus grande étoile que nous voyons chaque jour, celle qui nous apporte la plus grande lumière ainsi que le plus grand des réconforts, le soleil est ainsi la métaphore la plus évidente avec celle du Sauveur. Par conséquent, Noël est le résultat de nombreuses célébrations religieuses (qui elles-mêmes recouvrent diverses mythologies).

Néanmoins, il y a une autre source à laquelle Noël a pu fortement s’inspirer : il s’agit des réjouissances des Saturnales. Cette fête romaine s’étirait sur plusieurs jours, environ une semaine, celle du solstice d’hiver encore une fois. Durant ces quelques jours, le mot d’ordre était celui de la libération : tous, maîtres comme esclaves, laissaient libre cours à leurs passions en l’honneur du dieu Saturne, dieu qui sommeille le reste de l’année mais qui se réveille durant cette semaine de solstice. C’est lors des Saturnales que nous trouvons les premiers symboles que nous connaissons encore aujourd’hui. Nous pouvions en effet y découvrir des décorations de verdure éternelle (comme le houx, du lierre, ou des branches de sapin), également un festin abondant autour duquel tout le monde (quelque soit leur rang social) partageait des plats et des nectars, mais aussi les premiers cadeaux mutuels, qui étaient offerts en particulier aux proches issus de la famille. C’était un authentique moment de bonheur, intense et partagé, où les frontières sont démolies, laissant place à des réjouissances sans limites.

Il y a une certaine christianisation des symboles et des différentes traditions que nous trouvons dans les Saturnales. Par exemple, Noël est toujours une fête célébrant la renaissance de la vie, où est voué un culte de la clarté nouvelle. Le choix des symboles est aussi très significatif : tel que celui de la verdure éternelle (houx, lierre et sapin), de la chaleur (bûches, et cheminées) et de la lumière (bougies, feux de joie, et aujourd’hui guirlandes). Ce sont des symboles qui perdurent, à la seule différence que, pour ceux n’ayant pas de cheminée, la bûche est à déguster à la fin du repas. Noël représente un moment de libération également : les problèmes sont mis de côté, tous profitent d’un instant de calme et de partage autour d’un repas chaleureux. Les cadeaux sont toujours aussi centraux, voire le sont devenus encore plus. Depuis cette christianisation, le 25 décembre n’est plus une fête où tout le monde se retrouve : c’est un cercle plus restreint qui se forme, celui de la famille. Les voisins et les amis sont donc eux aussi avec leur famille proche. Les retrouvailles avec les cercles plus éloignés se font désormais le soir du réveillon (le 31 décembre) pour fêter la nouvelle année.

Par conséquent, ce sont des fêtes païennes qui ont marqué la fête de Noël chrétienne. Et aujourd’hui, il y a comme un retour à une laïcisation des célébrations du 25 décembre. Néanmoins, les symboles perdurent et leurs significations restent vraisemblablement les mêmes. Quoique parfois remises « au goût du jour », les traditions sont toujours présentes, et même partagées entre les réjouissances religieuses et celles plus populaires. Dans ces deux cas, Noël est le moment de se réunir avec sa famille, de faire plaisir, d’atteindre un certain apaisement de l’esprit.

Séparations du sacré et du profane,
du religieux et du populaire

Comme nous avons pu le voir juste avant, toute une symbolique orbite autour de la fête de Noël, faisant preuve de tout un schème de significations qui perdurent encore aujourd’hui. De plus, ces célébrations rythment nos vies et décorent notre environnement durant un trimestre entier, voire plus. Néanmoins, ces symboles, ce temps et cet espace, participent-ils à une logique de l’ordre du sacré, ou bien plutôt à une logique de l’ordre du profane ? Il serait plus facile de dire que chacun célèbre cette fête comme il l’entend, que ce soit en lui donnant une dimension sacrée, ou en restant dans une perspective laïque. Néanmoins, Noël reste la fête de l’enfant divin Jésus Christ, et ne devrait pas être réduite à la fête de l’enfant de manière générale. Noël est une fête religieuse, qui célèbre la naissance du Christ (nous retrouvons dans le mot “Noël” la racine latine “natalis” qui signifie naissance, et en anglais le terme “Christmas” est encore plus manifeste sur ce que nous fêtons le 25 décembre). Par conséquent, Noël selon cette appellation est de l’ordre du sacré, du religieux. Les célébrations laïques ne devraient pas reprendre ce terme, selon cette logique du sacré et du profane. Cependant, n’y a-t-il pas une sacralisation d’un temps et d’un espace, voire de symboles, laïques et profanes ?

Tout d’abord, qu’est-ce qui entre dans l’ordre du “sacré” ? Il s’agirait ici de quelque chose soumis à une forme de respect, de vénération, qui rejoint bien souvent le domaine religieux. L’utilisation de ce terme renvoie donc à une chose, une personne, une institution ou autre, qui revêt une forme d’importance non négligeable, voire inviolable (ce qui peut engendrer de la crainte chez quiconque oserait braver l’interdit du sacré). Dans la religion, le sacré renvoie directement aux textes, à la Bible, mais aussi aux rites et aux cultes qui en font partie. « Le sacré comme moyen de rassembler les peuples » : en effet, avoir des traditions sacrées permet, entre autre, de regrouper les fidèles, les croyants et les pratiquants, autour de rituels rythmant leurs vies. Les fêtes sacrées héritent donc aussi de cette qualité : Noël, au même niveau que Pâques, réunit les familles, à un même moment. Le profane, quant à lui, s’oppose au sacré : c’est ce qui est en dehors de la sphère religieuse de manière générale.

Donc, à quel point Noël est une fête sacrée ? En effet, Noël est plongé dans la tradition religieuse, mais pourtant se fête aussi selon des rites entièrement profanes. Une majorité de personne affirme que Noël porte un caractère sacré (et par conséquent, religieux) indéniable : celui lié de la naissance du Christ. Cependant, cette même majorité célèbre Noël de manière profane (sans crèche, sans messe, aucune lecture de textes sacrés, etc). Il y a une ambiguïté qui persiste. Est-il possible de trouver un juste milieu, permettant de réunir le sacré et le profane, ou du moins d’accepter deux formes de célébrations semblables pour deux raisons distinctes ? Car en effet, le sacré et le profane touchent aux mêmes domaines, comme nous pouvons le lire ici : « sacré et profane se penchent tous deux sur l’affectivité, le corps et l’esprit, qui sont associés à des gestes proches, à des comportements voisins ». Noël est une preuve manifeste de tels propos : malgré cette ambiguïté entre son caractère sacré, et celui plutôt profane, c’est une réunion familiale, où le partage est le mot d’ordre, et où des rites sont partagés (le sapin et ses décorations, les lumières, le repas, et nous en passons). Comment lever cette ambiguïté, si cela est seulement possible ?

Nous pourrions étudier la fête de Noël sous la perspective de la religion populaire, où sacré et profane se réunissent, de manière plus ou moins équilibrée. En effet, la religion populaire désigne l’ensemble des expressions (que ce soient rituelles, où par le biais de nouvelles traditions) qui se détachent de la religion officielle. Plus simplement, il s’agit de la religion telle qu’elle est vécue à une époque et en un lieu donnés, s’éloignant des rites et des paroles sacrés. En ce qui concerne Noël, nous pourrions rejoindre l’idée qu’il existe majoritairement deux traditions, une entièrement religieuse (où nous fêtons la naissance du Christ), et une autre qui tend vers une nouvelle tradition populaire (utiliser Noël comme moyen de se réunir, de faire plaisir et de sortir de la routine). La thèse de la religion populaire nous permet ainsi de résoudre la perte manifeste du sens sacré que possède Noël aujourd’hui : il y a un écart entre la religiosité officielle (telle que nous pouvons la lire dans les textes sacrés, ou bien même telle qu’elle était à une époque plus lointaine) et la religiosité vécue localement et à un instant précis. La religion populaire facilite l’explication de cette évolution : la religion vécue correspond, et répond, à des besoins affectifs, à des attentes, et non plus à des doctrines. C’est une nouvelle organisation qui se forme autour de traditions officielles, qui s’avère finalement moins « stricte ».

Néanmoins, il s’agit toujours d’une fête religieuse, et donc sacrée à proprement parler : elle se réfère à une tradition, celle de la célébration de l’enfant divin, et donc ne peut jamais être authentiquement profane. Si nous voulons célébrer la fin de l’année, offrir des cadeaux à nos proches, se réunir autour d’un bon repas, sans célébrer cette naissance, il ne faut simplement pas utiliser le terme de « Noël » : linguistiquement et historiquement, ce n’est pas correct. C’est pourquoi nous parlons, par exemple, d’un « esprit de Noël » : il y a toujours une forme de spiritualité qui englobe cette fête. Spiritualité qui est donc intimement liée à la dimension de sacré, mais qui n’est pas toujours d’ordre chrétien : il peut tout autant s’agir d’un esprit de la religion populaire et vécue. Une même forme qui se divise en des significations distinctes.

Nous avons rapidement introduit l’idée selon laquelle Noël rythme notre temps ainsi que notre espace. En effet, nous décorons nos maisons, les rues sont illuminées et les vitrines enguirlandées, mais il se passe également un phénomène temporel : une « bulle » se forme, nous mettons nos problèmes de côté pendant quelques jours, ou quelques semaines. Noël invite à la fête, et marque la fin d’un temps, celui de l’année. Le sacré propose lui-même une organisation dans une dimension pleinement religieuse. En effet, une messe est organisée spécialement pour cette célébration, réunissant de nombreuses familles au sein de chaque diocèse, et la crèche est installée au pied du sapin, à côté des souliers.

A partir de là, la dimension populaire élargit cette organisation, en quittant le cercle restreint du cadre personnel et familial, pour s’installer publiquement : ainsi le marché de Noël ouvre ses portes en novembre, nous laissant un mois de frénésie générale pour décorer nos foyers, pour dépenser nos salaires et pour penser à un repas qui plaira à tout le monde afin que l’ambiance chaleureuse ne soit pas piétinée. De cette manière, nous pouvons parler de deux types d’espaces et de temps : ceux qui sont d’ordre sacré, et ceux qui sont d’ordres populaires. Pour distinguer ces deux types de célébration, nous pourrions dire que l’une est celle de la fête de l’enfant Jésus, et que l’autre est plutôt réduite à être la fête des enfants (où les adultes souhaitent eux-mêmes redevenir enfants).

Rendez-vous la semaine prochaine pour la suite de cet article ! Au programme : la quête du bonheur ultime, et la rencontre avec le Père Noël. Ainsi qu’une conclusion globale de l’ensemble des deux parties de cet article.

Étudiante en Master de Philosophie à l'Université de Nantes.

2 comments

  1. L’amour ne pourrait-il pas être un élément fédérateur durant ces fêtes dites de Noël ? L’amour de l’enfant divin pour les chrétiens et l’amour des siens pour les profanes constitueraient ainsi une possible interprétation de l’événement.

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