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Comment distinguer une oeuvre littéraire d’une oeuvre « commerciale » ?

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Comment distinguer une oeuvre littéraire d’une oeuvre « commerciale » ? Posted on 10 mai 2020

Vous avez peut-être déjà entendu les termes de « littérature commerciale » ou encore de « littérature industrielle ». Nous pouvons distinguer deux catégories d’oeuvre : les oeuvres littéraires et les oeuvres commerciales. Quelles différences fait-on entre les deux ? Comment reconnaît-on un texte littéraire ? Qu’est-ce qu’un chef d’oeuvre en littérature ?

Pour pouvoir différencier la Littérature de la littérature de « consommation », il faut s’intéresser aux critères de qualité, aux spécificités des oeuvres littéraires. Pour cela, on parlera de valeur artistique et de critères esthétiques.

Dans un pamphlet daté de 1839 publié dans La revue des Deux Mondes, le critique littéraire français Charles Augustin Saint-Beuve publie « De la littérature industrielle ». Il y aborde l’émergence d’une littérature commerciale, une littérature médiocre selon lui. Sainte-Beuve conclut notamment son article par :

« Deux littératures coexistent dans une proportion bien inégale et coexisteront de plus en plus, mêlées entre elles comme le bien et le mal en ce monde, confondues jusqu’au jour du jugement : tâchons d’avancer et de mûrir ce jugement en dégageant la bonne et en limitant l’autre avec fermeté. »

Sainte-Beuve, « De la littérature », Revue des Deux Mondes, tome 19, 1839, p.675-691.
Charles Augustin Sainte-Beuve

La distinction entre ces deux littératures dont parle Sainte-Beuve se fait tout d’abord dans leur valeur esthétique. Mais qu’est-ce que la valeur esthétique ? Il s’agit d’un jugement subjectif lié à la beauté d’une oeuvre. On ne peut aisément pas parler de littérature sans évoquer le rôle déterminant du lecteur. Ce dernier évaluera le plaisir qu’il a eu en parcourant telle ou telle oeuvre. En quoi cela est-il important dans la distinction entre un texte littéraire et la littérature commerciale ? Les oeuvres appartenant à la littérature de « consommation » sont réalisées dans le but d’être vendus, il y a un enjeu économique, le but étant d’avoir une oeuvre qui plaise au lectorat.

Pierre Bourdieu dans Les Règles de l’art disait notamment à propos des deux champs de production :

« On peut se demander si la division en deux marchés, qui est caractéristique des champs de production culturelle depuis le milieu du XIXe siècle, avec d’un côté le champ restreint des producteurs pour producteurs, et de l’autre le champ de grande production et la « littérature industrielle », n’est pas menacée de disparition, la logique de la production commerciale tendant de plus en plus à s’imposer à la production d’avant-garde (à travers, notamment, dans le cas de la littérature, les contraintes qui pèsent sur le marché des livres). »

L’esthétique de la réception se concentrera sur ce qu’on appelle l’horizon d’attente du lecteur. En effet, un lecteur attend plus ou moins de choses d’une oeuvre. La littérature commerciale comblera un lecteur en lui donnant ce qu’il attend, en satisfaisant son désir : par exemple pour une histoire d’amour, on attendra que les personnages principaux soient en couple à la fin de l’ouvrage. On pourrait presque dire que l’on peut connaître la fin de l’histoire au début de la lecture de l’oeuvre. Une oeuvre littéraire quant à elle donnera quelque chose de nouveau, d’inconnu au lecteur. Il pourra ainsi y avoir un écart entre l’horizon d’attente et ce qu’offre l’oeuvre. Un chef d’oeuvre de la littérature sera en rupture totale avec les formes connues du lectorat et demandera alors un effort de recherche, de concentration. L’horizon d’attente du lecteur sera bouleversé.

La Littérature prête attention à la forme que prend le récit. Un chef d’oeuvre littéraire se démarquera des autres productions d’écriture en ce qu’il apportera de neuf en termes de forme, en effet, il donnera à voir des formes nouvelles. Ainsi une grande oeuvre littéraire ne plaira pas forcément au public parce qu’elle ne sera pas accessible de prime abord. L’oeuvre commerciale se tournera davantage vers l’histoire, le contenu du récit : l’important sera plus le fond que la forme. Cela ne veut pas dire que la forme de la littérature de consommation est négligée pour autant, elle tient seulement une place moins grande que pour un texte littéraire.

Une oeuvre de qualité demande une construction de sens de la part de son public. C’est aussi en cela que l’on peut différencier une oeuvre littéraire d’une oeuvre commerciale. La littérature industrielle ne demandera pas un effort particulier à son lectorat en ce qui concerne le sens de son contenu.

« J’appelle mineur un art qui ne demande que réceptivité passive et docilité amorphe à ceux auxquels il s’adresse, mineure une oeuvre où presque tout est donné, où presque rien n’est à construire »

Michel Tournier, Le Vent Paraclet, 1977, Paris, Gallimard, coll. « Folio », p.173.

Quant à ce qu’on appelle un chef d’oeuvre en littérature, il s’agit d’une oeuvre littéraire qui rompt avec certaines conventions esthétiques existantes et qui fait preuve d’innovation dans l’écriture. L’auteur procède à tout un travail sur le langage, sur le style qui viendra appuyer le sens de son oeuvre. L’oeuvre de qualité comporte également une multiplicité de lecture.

Une autre différence réside dans le domaine de l’éducation. En effet, seules les oeuvres littéraires sont étudiées en classe car elles présentent un intérêt, celle de la lecture littéraire où l’on peut à la fois s’intéresser au sens de l’oeuvre, à la langue et à ses procédés stylistiques. On peut ainsi faire un travail sur le texte qui peut se suffire à lui-même, en laissant parfois de côté le fond de l’histoire, ce qui n’est pas le cas des oeuvres commerciales.


Sources :

Sainte-Beuve, « De la littérature », Revue des Deux Mondes, Tome 19, 1839.

Hans Robert Jauss, Pour une esthétique de la réception, 1975.

Michel Butor, Répertoire II, 1964.

J. Vassevière, N.Toursel, Littérature : 150 textes théoriques et critiques, édition Armand Colin, 4e édition.

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