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Pre-raphaelite Brotherhood

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Pre-raphaelite Brotherhood Posted on 14 mai 2020

Avez-vous déjà entendu parler du préraphaélisme ? de la peinture “ Ophélie” ? ou encore du théoricien John Ruskin ? 

Certains noms vous semblent familier, quelques notions vous viennent peut-être en tête à l’évocation de ces femmes plongées dans des natures luxuriantes. Durant les cinq dernières années je me suis ouverte à la compréhension de l’Histoire de l’Art. Maints courants m’ont été enseigné, des grands noms ont été évoqués, un regret me reste pourtant. Certains courants, artistes, que j’avais pu voir dans les livres ou au cours d’une exposition ne figuraient pas dans cet enseignement. Aujourd’hui, grâce à l’Expérimental, l’occasion de découvrir la richesse infinie du monde de l’art s’ouvre à nous. La découverte du préraphaélisme ouvre ainsi la voie, et nous pouvons commencer le voyage en 1848, à Londres. 

L’Angleterre est alors épris par le courant révolutionnaire qui souffle sur toute l’Europe. “ L’année de la révolution” où le roi Louis-Philippe est déchu et où Paris se soulève. Dans ces temps en proie au changement, le théoricien John Ruskin devient alors influent dans la capitale anglaise notamment par sa vision de la fonction de “l’art”. Connu notamment par sa publication en 1843 de « Modern painters », il partage sa vision hautement morale de l’art et l’importance de retourner à une observation parfaite de la nature et des œuvres de l’art italien primitif. Il faut noter que la peinture anglaise croulait alors sous les conventions académiques issues de la Renaissance, provoquant ainsi une impasse créative pour une nouvelle génération de peintre. Des peintres, dont William Turner, avaient entamé au début du siècle un renouveau pictural, mais il ne sera malheureusement pas suivi et sera écroulé sous les peintures de scène de genre, très prisées aux XIXe siècle. 

Ainsi, en 1848, trois peintres vont proclamer une autre approche de la peinture, en liant la théorie de Ruskin à leurs désirs de revenir à la pureté artistique. La confrérie préraphaélite prend alors forme sous le nom originel « Pre-raphaelite Brotherhood » et se compose de :

Cette séparation avec le peintre de la renaissance Raphaël, au sein même du nom de la confrérie se réfère au dédain éprouvé pour le tableau de l’artiste peint en 1520 “La Transfiguration”.

Ce tableau : devrait être condamné pour son mépris grandiose de la simplicité de la vérité, la pause pompeuse des apôtres et l’attitude non spirituelle du Sauveur.  

– William H. Hunt

Pour les préraphaélites, le temps est donc venu de créer une nouvelle peinture dans cette Angleterre enlisée, une peinture qui puiserait sa singularité dans l’art médiéval et particulièrement celui des artistes primitifs italiens. Les premiers artistes du mouvement n’auront d’ailleurs pour seule connaissance de ces peintres italiens que les gravures en bronze de Carlo Lasinio publiées en 1828, les fresques de Benozzo Gozzoli de 1421-1497 et quelques témoignages de maîtres italiens exerçant à Pise.

En s’éloignant des règles académiques, les trois peintres seront au fil des années rejoints par d’autres artistes tels Edward Brune-Jones, James Collinson, ou Ford Madox Brown qui désirent adhérer à cette volonté d’outrepasser les talents de Raphaël, Léonard de Vinci ou de Michel-Ange pour orienter leur peinture vers quatre grands thèmes :

  • Le Moyen âge : dans sa technique pour illustrer la vérité. Cela participe notamment à l’engouement général de l’Angleterre qui est l’objet de nouvelle construction de bâtiments néogothiques tel le Parlement. Nombreux thèmes médiévaux sont également présents au sein des peintures.
  • Le christianisme : évoqué maintes fois dans les peintures préraphaélites, très présent notamment dans l’œuvre de Dante Gabriel Rossetti
  • La littérature et plus spécialement des auteurs tel Shakespeare, Dante ou encore les récits mythologiques et historiques
  • Les faits sociétaux contemporains, une singularité pour l’époque. 

Comme la plupart des jeunes gens, j’étais bouleversé par l’esprit et la liberté des événements révolutionnaires qui se déroulaient alors. En appeler au ciel contre la tyrannie qui s’exerçait sur les gens pauvres et sans défense semblait propre à susciter un traitement pictural.

– William H. Hunt

Les tableaux préraphaélites dévoilent ainsi divers faits sociétaux repris à travers un récit historique et sont particulièrement présents et intéressants à étudier pour comprendre la réalité anglaise. L’œuvre de William H. Hunt “ Rienzi” relate les mouvements sociaux de 1848 à travers la scène du roman de Bulwer Lytton, l’histoire du chef révolutionnaire de la révolte populaire contre la noblesse romaine au 16e.

Cette manière d’aborder un événement historique se retrouve également dans l’œuvre de Ford Madox Brown, qui apporte une attention particulière à retranscrire l’analyse de son époque, et devient ainsi “ la conscience sociale du mouvement” pour certains. Dans son œuvre “ Work”, il puise son inspiration dans l’essai de Thomas Carlyle “Passé et Présent” de 1843, Ford Madox Brown célèbre ainsi le travail manuel tout en dénonçant les inégalités contemporaines. “The Last of England ” peint entre 1852 et 1855 permet quant à lui de montrer un couple d’émigrants, au moment où l’Angleterre connaît un grand mouvement d’émigration.

Les peintres préraphaélites soucieux de dépeindre la vérité, sont également singulier dans leur préférence à peindre en extérieur, laissant en désuétude l’art d’atelier. En effet, ces artistes, outre le fait de révéler les méandres de leur société ou dépeindre des scènes littéraires, mettent en avant la beauté vraie de la nature. Cette dernière ne restait pas cantonnée en simple fond mais prenait dans la peinture préraphaélite une place prédominante. Une volonté qui annoncera par la suite l’arrivée du symbolisme à la fin du XIXe siècle. 

Une œuvre concrétise parfaitement la conception proposée par le mouvement et a été réalisée par John Everett Millais en 1851-1852, il s’agit d’“Ophélie”. 

Cette peinture reprend le personnage tragique dans la pièce de William Shakespeare, « Hamlet », de 1600. Dans ce récit, Ophélie, jeune femme de la noblesse danoise et amante d’Hamlet sombre dans la folie après que son cher et tendre assassine son père. John E. Millais représente alors l’instant précédent la noyade d’Ophélie, ses paumes et son regard sont tournés vers le ciel, entourée de végétation. Le poète Rimbaud avait par ailleurs décrit cette nature dans son poème de 1870, où il évoque par ses allitérations en “L” l’eau dans laquelle repose le corps d’Ophélie. 

Cette toile sera peinte par l’artiste pendant un an, sa confection débute dans la campagne anglaise. En effet, en corrélation avec la pensée préraphaélite, Millais désirait représenter la véritable nature et ainsi insérer les fleurs de son environnement. Traditionnellement le paysage était secondaire, mais l’idéologie préraphaélite plaçait la nature sur le même piédestal que la figure, ainsi c’est le paysage qui sera dans ce tableau peint en premier. La nature tenant cette importance, les peintres, dont Millais, accordaient à leurs éléments végétaux moult significations.

En regardant de plus près la toile on peut alors observer des violettes, symbole de fidélité, de chasteté et de mort, un saule pleureur représentant quant à lui l’amour abandonné, la douleur et l’innocence, ce qui est le cas également des orties et des marguerites. La mort est à nouveau symbolisée par la présence de coquelicots, charmant bouquet végétal annonçant le destin tragique d’Ophélie. 

Le décor peint, les symboles recensés, Millais rentre en atelier afin de peindre dans un second temps le personnage d’Ophélie. Pour cela il fait appel à la muse Elizabeth Siddal, présente notamment dans les œuvres de Dante Gabriel Rossetti “ Proserpine ” ou dans l’œuvre éponyme “ Elizabeth Siddal”. Pour sa réalisation, cette dernière fut contrainte de passer près de quatre mois dans une baignoire, seulement maintenue à température par des bougies. Ces conditions et la non préoccupation du peintre provoquera chez Elizabeth Siddal une pneumonie, qui ne lui sera heureusement pas fatale. 

Les femmes peintes par les Préraphaélites sont placées dans un décor si dense et soigné que celui-ci semble parfois prendre le pas sur la figure humaine.

– Parkstone International, « Les femmes froides des préraphaélites »

A partir de l’œuvre de Millais, il est également intéressant de réfléchir sur la place accordée à ces femmes dans les œuvres préraphaélites. La nature, et la femme sont en effet des thèmes récurrents du mouvement.

Il semble que dans les œuvres telles “Ophélie” ou encore “The Lady of Shalott” de John W. Waterhouse, la femme soit placée dans la peinture comme elle l’est dans la société victorienne du XIXe siècle. “Elles font partie du décor”. Les femmes n’avaient alors pas le droit de vote, de posséder leurs propres biens matériels et étaient emprisonnées par les bien-pensants cherchant alors à contrôler leurs corps pour la pureté de leurs âmes.

En réponse à cette vision de la femme, des préraphaélites vont représenter et prendre comme muse les femmes dites déchues par la société, comme celles pratiquant la prostitution. Ce fut le cas de William H. Hunt dans “The Awakening Conscience ” présentée en 1853. Cette peinture, devenue symbole du moralisme littéraire de la société victorienne, représente la rédemption d’une jeune prostituée après avoir compris qu’elle était en pleine perdition. Le peintre dissimule à travers son œuvre des artefacts permettant de comprendre la scène, comme pour souligner le fait que ces jeunes gens ne sont pas mariés, il octroie à la jeune femme une bague à chaque doigt, sauf à l’annuaire. Ces femmes étaient alors pour les peintres les victimes d’une société créatrice de besoin et industrielle, désirant représenter les maux de la société, les peintres les accueillaient dans leurs œuvres. Dénonçant ainsi les mœurs, ils laissent également à leur muse la possibilité d’aller vers l’absolution de leurs péchés en prenant leur air si angélique. 

Un autre cas de figure conduit les femmes à être représentées sous l’angle de la perfection et de la pureté, dévoilant ainsi un corps mince, une peau pâle, et de longs cheveux. La femme alors effacée face à cette verdoyante végétation, semble n’être que témoin de sa propre vie. Beauté naïve, femme symbole, la femme trouve alors son essence dans son histoire, souvent funeste, et par la morale que l’on en tire. Le rôle de la femme se matérialise alors par le fait qu’elle nous émeut par son destin, qu’elle nous enseigne et nous guide dans l’histoire par sa simple présence.

En revanche, certaines de ces femmes sont allées chercher leur liberté au sein des ateliers préraphaélites, bousculant toutes convenances conservatrices. Dans la sphère privée, on note les histoires extraconjugales, des remariages, tel est le cas pour Effie Gray Millais, modèle et muse qui obtient l’annulation de son mariage avec le théoricien John Ruskin afin d’épouser le peintre John E. Millais, une situation singulière pour l’époque. Elle sera par la suite associée à part égale dans l’atelier de son mari, et prendra les décisions concernant le choix des modèles, les lieux propices à la création ou encore les relations publiques. Fanny Eaton, une muse jamaïcaine, par sa présence dans les œuvres de Dante G. Rossetti, révolutionne quant à elle la beauté de la femme et élève cette beauté au rang d’art, allant ainsi contre tous les canons esthétiques de l’Angleterre victorienne. Le mouvement préraphaélite accueille également des femmes tel Evelyn De Morgan et Marie Spartali Stillman, qui ont défié par leur art, les convenances et les attentes liées à leur genre et se sont démarquées au sein des peintres préraphaélites.

Après une seconde génération préraphaélite marquée par les œuvres d’Edward Burne-Jones ou de William Morris, le paysage artistique anglais est saisi par son influence jusqu’à la fin du XIXe siècle.

Dès lors, le préraphaélisme s’aventure dans la photographie avec notamment le travail de Julia Margaret Cameron et grâce à William Morris, il conquit par la suite le mouvement Arts & Crafts et résonne avec les lignes végétales et féminines de l’Art nouveau. 

Bibliographie :

  • Musée d’Orsay, « le préraphaélisme »
  • Parkstone International, « Les femmes froides des préraphaélites », 29/10/2014
  • Muriel Pécastaing – Boissière, « Les Préraphaélites, modernistes et réactionnaires »,2002
  • France culture, « Les Préraphaélites, un monde rêveur », 28/04/2019

2 comments

  1. Article bien conçu et documenté qui permet d’ouvrir sa connaissance artistique à des pans peu connus de la peinture.

  2. Merci, vraiment merci,
    Pour ce bon moment de découverte, en quelques lignes vous me donnez une envie folle d en savoir plus sur ces peintres. Je souhaiterais un autre article sur cette période et ainsi connaître votre analyse

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