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Naissance d’un film : d’une idée à une salle de ciné

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Naissance d’un film : d’une idée à une salle de ciné Posted on 9 mai 2020
Jacques Prévert

ÉCRITURE DU SCÉNARIO

Une idée. Quelque chose qui s’apparente à un récit, à une trame, vient à l’esprit de quelqu’un. C’est une jeune femme, passionnée depuis toujours par le cinéma, qui vient d’avoir L’Idée. Elle veut en faire un long-métrage. La future réalisatrice tâte le terrain, et en parle à quelques amis. Un de ces quelques amis est scénariste. Il adore l’idée, tout de suite, il est conquis. Il commence à écrire notes, phrases, texte. Démarre alors l’étape cruciale du scénario. Lecture, re-lecture, il écrit, gribouille, invente. Il recherche, s’informe, prend tout ce qu’il a à prendre pour étoffer son récit. S’immisce sur le terrain, s’imprègne des odeurs, des ambiances, observe, détail par détail, et, comme un auteur, le scénariste crée. Quel prénom va-t-il donner à la jeune protagoniste ? Quel temps fait-il lorsqu’elle tombe à vélo ? Ce sont des heures, des semaines, des mois et des années de création. Le scénariste s’entoure, il demande des regards extérieurs. La réalisatrice l’épaule depuis le début, le guide, elle sait où elle veut aller, et il l’aide à le coucher sur papier. D’autres amis cinéphiles viennent chatouiller le scénario de leur œil neuf. Première ébauche, impression, la première version est prête. Le film, qui était embryon, commence à naître. Il lui faudra patienter avant d’éclore pour de bon. Pour ça, il aura besoin d’un peu d’argent…

PRODUCTION / FINANCEMENTS

C’est un producteur qu’il faut dénicher. Hop ! Le scénario est envoyé. Les contacts sont joués, le bouche à oreille, les concours de scénarios, les candidatures aux festivals, toutes les boîtes aux lettres et les boîtes mails possiblement intéressées contiennent Le scénario. Des semaines durent, des mois passent, et rien. Quelques réponses courtoises, qui ne donneront pas suite. Le moral chute, et la réalisatrice, qui est en même temps assistante sur des tournages pour payer son loyer, commence à laisser tomber. Un jour, on l’appelle. Stress, palpitations, bégaiements, elle comprend être en lien avec un producteur d’une grosse boîte, genre Gaumont, mais dans l’émotion elle en a oublié le nom, elle retient qu’il travaille sur des premiers films à moyens budgets, qu’il a une vingtaine d’associés et qu’il a déjà une idée d’actrice pour le personnage principal. Elle retient surtout que dans tout ça, il veut supprimer la séquence 4, et ré-écrire tous les dialogues. Elle n’accepte pas.

C’est un an après, sur un festival de cinéma, qu’elle rencontre le couple de producteurs qui s’emploiera à financer son film. Après de longues réunions, le trio est d’accord : le film coûtera environ 4 millions d’euros. Une nouvelle fois, le scénario est envoyé par centaines à des sources de financements. Les chaînes de TV, les sociétés de production, le CNC, la région parisienne, les banques, tous reçoivent une demande pour aider à produire ce nouveau film, qui n’attend que de voir le jour.

RECRUTEMENT / CASTING

Pour son équipe, la réalisatrice a déjà recruté sa scripte, la directrice de casting, ses assistants, le chef-opérateur, le costumier, sa régisseuse. Il manque encore beaucoup de monde. Avant un tournage, tous les postes doivent être pourvus, alors le recrutement commence. On recrute les chefs de poste d’abord, pour qu’ensuite la réalisatrice n’ait plus à s’occuper de toutes les autres candidatures. Avec la directrice de casting, la réalisatrice prépare l’étape qu’elle attendait avec impatience : le casting. À l’orée de son idée première, elle était sûre d’une chose : elle ne souhaitait pas pour son film prendre des acteurs connus. Elle veut un souffle de jeunesse et de nouveauté. Défilent alors les premiers candidats. Tremblements, textes en main, certains sont moins à l’aise que d’autres, mais aucun n’échappe à la jeune cinéaste. Pour la protagoniste, la directrice de casting est convaincue de donner le rôle à une jeune fille qui avait assuré lors des auditions. La réalisatrice, moins, et attend quelques semaines avant de trouver la candidate évidente. Pour les autres acteurs, le mécanisme glisse mieux et tout le casting est recruté au bout de deux mois.

REPÉRAGE

Les personnages qui n’existaient alors que sur le papier ont maintenant de vrais visages ! Qu’en est-il des lieux ? La réalisatrice, ses assistants et la régisseuse partent en vadrouille pour trouver l’endroit idéal. Le film ne sera tourné qu’en milieu naturel, pas de studios, alors la mission est au repérage. La ferme qui servira de décor principal doit être parfaite. Comme décrite dans le scénario. Alors les contacts sont appelés, les anciennes connaissances sont recontactées, et tout le monde se met à chiner la fameuse maison de campagne. Au bout de quelques semaines, le bijou est enfin trouvé. C’est dans un petit hameau en Mayenne que les scènes principales seront tournées. Le budget est alors revu, le tournage nécessitant un déplacement hors région parisienne. Après quelques négociations, le couple de producteurs approuvent le lieu. Le film commence à avoir une vraie identité visuelle. Des photos, des prises de vue, des croquis et des schémas sont réalisés de toute part pour préparer au mieux le tournage.

DÉCOUPAGE TECHNIQUE

De son côté, la réalisatrice, aidée par le chef-opérateur et d’autres collègues, conçoit le découpage technique du film. Quels mouvements de caméra nécessitera la scène du violoniste ? Dans quels ordres organiseront-ils les plans de la première séquence ? L’heure est à la réflexion, aux discussions, aux dessins ; gribouillés d’abord, puis esthétisés par le storyboard.

Storyboard de la scène de la douche de Psychose (1960), film réalisé par Alfred Hitchcock

On organise, on prévoit, on met en place, pour que rien ne soit oublié. Un dépouillement acharné est requis, le 1er assistant réalisateur effectue cette tâche le plus précisément possible. Après des heures de travail et de logistique, il peut enfin donner à toute l’équipe un emploi du temps personnel, et un vrai tableau de l’organisation précise du tournage. Les frétillements de tous commencent à monter, dévoilant l’excitation générale qui précède le tournage.

L’excitation est aussi appréhension, pour certains. Les acteurs sentent le jour J arriver, et se sentent un peu dépassés. Avant tout ça, ils ont répété avec la réalisatrice, sans forcément se rendre compte de l’émotion que pouvait générer une aussi grande équipe sur un plateau. Maintenant, ils ont encore besoin de cet intime, de cette douceur provenant des yeux de la réalisatrice, qui les rassure, leur fait confiance, les abrite de tous ces câbles, ces caméras et de toute cette agitation du tournage. Ces moments précieux, ils en auront besoin au moment venu, pour retrouver l’effluve de leur personnage.

PRÉ-PRODUCTION

La semaine qui précède le tournage est ressentie comme les préparatifs d’un mariage. Surtout pour la réalisatrice, qui perçoit là la concrétisation d’un cheminement long, pourvu d’entraves, de doutes et de questions. Voilà que ce cheminement devient plus grand encore. Les essayages sont encore à la réflexion : Les acteurs sont habillés, maquillés, coiffés comme pour le jour J. On épingle, on reprend, corrige, change, tels des enfants sur des poupées, les équipes HMC* s’activent. Des premières prises de vues sont enclenchées pour vérifier que tout est cohérent : le maquillage, les lumières, tout comme les acteurs ont pu faire en amont, tous s’adonnent à des répétitions. La réalisatrice se concerte avec tous les chefs de poste : est-ce que tout est clair ? Tous les détails doivent être compris, relayés, répétés. L’assistant réalisateur répond aux questions. Et voilà que les premiers appareils font leur entrée. Caméras, projecteurs, perches, micros, tels de vrais héros, ils sont admirés de tous. Les camions sont pleins, alors que les cartes mémoires sont encore vides d’images. Pas pour longtemps, puisque le tournage commence demain. Toute l’équipe est réunie. Il y a au moins 60 personnes. La réalisatrice se lance dans un discours, verre à la main, discours qui lui vaudra bégaiements et rougeurs, mais qui finira en sincères applaudissements.

TOURNAGE

Agnès Varda sur le tournage de La pointe courte, 1954

Il et cinq heures du matin, la jeune réalisatrice se réveille. L’émotion qui lui vient s’apparente à celle qu’elle avait enfant, quand elle partait le matin tôt pour aller en vacances. Sur place aux premiers lieux du tournage à sept heures, elle prend un café avec ses collègues, préparé soigneusement par la régie. Les premiers sur les lieux sont les techniciens, et les chefs de postes. On commence à brancher, à allumer, à régler. Tout le monde est assez détendu, et le fait d’avoir fait tous les réglages avant participe largement à cette ambiance apaisée. Il est 8h30 quand les acteurs requis pour la journée arrivent, qui vont trouver très vite leur place dans les équipes HMC. Une heure d’habillage-maquillage-coiffure, et les voilà sur le plateau. Tout le monde est prêt. L’actrice principale se met en place, c’est elle qui sera la première filmée. La cuisine, décor de la séquence 3, n’est pas très grande, alors l’équipe technique s’est réduite. La comédienne est rassurée. Derniers réglages, on inscrit sur le clap « prise 1, séquence 3, scène 1» avec l’heure et la date du jour. « Silence ! » Un silence étouffant s’imprègne dans la cuisine. « Moteur ! » C’est la voix de la réalisatrice. Les lumières clignotantes des caméras indiques que l’enregistrement est enclenché. « ça tourne ! » Voix du cadreur, puis de l’ingénieur son. Nouvelle annonce : « Prise numéro une, séquence trois, scène une ». Clap ! « Action ! »

L’actrice, qui a déjà répété cette scène plusieurs fois, se lève doucement de sa chaise. Elle semble chercher quelque chose. Cherche-t-elle vraiment quelque chose ? Non, elle joue, ce n’est pas pour de vrai. On pourrait croire, pourtant, tellement son regard semble préoccupé. « Coupez ! » La voix de la réalisatrice percute ce moment en suspens. Une ombre d’un technicien a été aperçue pendant la prise de vue. Elle trahit tout le mécanisme cinématographique. « On la refait ! »

La matinée s’écoule, aussi vite que des secondes, et arrive l’heure du repas. Un bâtiment annexe du lieu de tournage sert de cantine pour l’équipe. Certains parlent des scènes qui viennent d’être filmées, d’autres de celles qui le seront bientôt, et d’autres changent de sujet. La réalisatrice peut se dire chanceuse, toutes ces personnes qui constituent l’équipe semblent bien s’entendre. La journée continue, trois scènes ont été filmées en tout. La nuit commence à tomber, et à 22 heures, tout le monde est parti dormir et rêver des nouvelles scènes prêtes à être filmées.

Le tournage entier dure six semaines. L’équipe aura un peu voyagé, quittant la région parisienne pour la Mayenne pendant la dernière partie du tournage. Tout s’est bien passé, comme c’était voulu. Quelques changements de dernière minute ont fait leur entrée, mais ils n’ont en rien perturbé l’atmosphère du film. La réalisatrice est comblée. Elle observe ces disques durs, remplis au fur et à mesure d’images qui constituent Son film. Elle a l’impression de le voir, déjà. Il est presque né.

POST-PRODUCTION

La réalisatrice a de nouveaux acolytes : les monteurs. C’est à eux qu’elle confie les images encore fragiles du film. Le travail minutieux commence. Les scènes toutes fraîches sont coupées, montées, redéfinies. Les monteurs s’acharnent sur des détails. Ils font tous preuve de patience. Chaque jour est un casse-tête périlleux. Le chef-op travaille avec le monteur image, l’ingé son avec le monteur son. Tout se coordonne. Les séquences deviennent cohérentes, le film voit ses organes s’assembler, petit à petit. Quand tout est monté, l’étalonneur fait son apparition. Il est le maître des couleurs et des lumières. Comme sur un tableau, il joue avec les ambiances, avec les ombres et les nuances. Et un jour, après des semaines de travail méticuleux, quand alors les toutes premières esquisses étaient il y a plusieurs années, le film naît.

DISTRIBUTION

Le film, encore dans son cocon, est alors exposé au monde entier. On parle de lui partout. Les acteurs sont interviewés, la réalisatrice aussi, on voit son affiche dans le métro, sa bande-annonce sur youtube : le film doit se faire connaître. Avant même qu’il soit dévoilé tout entier, le public en parle déjà. Et puis arrive l’avant-première. Des journalistes, critiques, et autres cinéastes viennent découvrir le premier film de la jeune réalisatrice. C’est un triomphe. Le distributeur décide de le faire tourner partout, il en a le potentiel. Il est doublé en anglais et en allemand.

EXPLOITATION

En France, le film sort le 11 mai 2020. Le public est au rendez-vous : de longues files d’attente arpentent les rues des cinémas de France, et les spectateurs chanceux déjà assis sur leur siège s’impatientent. La magie du cinéma opère. Plus personne ne dit un mot, et les voilà embarqués dans une histoire imaginaire pendant quelques temps. Les visages sont tous différents, les émotions se trahissent dans chacun de leurs frissons, de leurs mouvements de lèvres, de leurs joues rouges et de leurs sourires spontanés. Tout a disparu, le travail, la météo, le métro, les humeurs, la voisine, les infos. Tous sont pareils et différents.

C’est ainsi que continue la jolie histoire du film, par celle qu’en feront ceux qui la regarde ; bouche à oreille, anecdotes, imitations à la récré, discussion autour d’un café… Et un jour ils le montreront à leurs enfants, qui le montreront à leur tour, et encore, et toujours, et ainsi de suite.

FIN


* Les équipes Habillage-Maquillage-Coiffure

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