Le 20 janvier 2020, Roxana Maracineanu, alors Ministre des Sports adresse un courrier à toutes les Fédérations sportives françaises¹. Elle dresse le constat suivant : 165 000 enfants sont victimes de viols ou tentatives de viols chaque année. Si tous n’émanent évidemment pas du monde du sport, elle constate qu’il est concerné. Mais qu’il doit aussi être un lieu de libération de la parole.
La prise de conscience Sarah Abitbol
Le 30 janvier 2020, l’ex-patineuse artistique professionnelle Sarah Abitbol publiait un livre autobiographique : Un si long silence. Elle témoigne : « Vous étiez mon entraîneur. J’avais quinze ans. Et vous m’avez violée ». Elle ajoute : « Je veux aussi dénoncer le monde du sport qui vous a protégé et qui continue de le faire à l’heure où j’écris ces lignes ». L’image romantique, parfois naïve, que l’on s’était faite de ce monde s’effrite. Le secteur se retrouve à découvert face à une farouche volonté gouvernementale de faire la lumière à son sujet.
Roxana Maracineanu organise le 21 février 2020 la première Convention Nationale de Prévention des Violences Sexuelles dans le Sport. Le véritable tollé provoqué par le témoignage de Sarah Abitbol, médaillée de bronze aux championnats du monde 2000, a permis de mettre les projecteurs sur tout le monde du sport ; y compris amateur. La Ministre des Sports donne le ton : « Les criminels et les délinquants doivent être sanctionnés par la justice. Ceux qui ont tu, voire caché, leurs actions aussi« . En effet, la législation prévoit de sanctionner non seulement les agresseurs sexuels, mais aussi quiconque saurait sans n’avoir dit mot, sans n’avoir agi de quelque manière qu’il soit. L’article 434-1 du Code Pénal prévoit notamment trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende pour « quiconque ayant connaissance d’un crime dont il est encore possible de prévenir ou de limiter les effets, ou dont les auteurs sont susceptibles de commettre de nouveaux crimes qui pourraient être empêchés, de ne pas en informer les autorités judiciaires ou administratives ». Les articles 40 du code de la procédure pénal et 223-6 du code pénal² sont là pour protéger les victimes du silence du monde du sport que dénonce Sarah Abitbol dans son livre. La législation inclut notamment dans l’article 434-3 la notion de l’âge : « Le fait, pour quiconque ayant connaissance de privations, de mauvais traitements ou d’agressions ou atteintes sexuelles infligés à un mineur ou à une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge […] de ne pas en informer les autorités judiciaires ou administratives » est puni de trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amendes, également.
Un bilan inquiétant et des éducateurs en cause.
Au 1er juin dernier, Roxana Maracineanu dressait le premier bilan depuis la création de la Convention Nationale de Prévention des Violences Sexuelles dans le Sport³ : 177 personnes issues de 40 fédérations ont été mis en cause. Parmi eux, 110 éducateurs (dont 83 sont rémunérés). Les victimes répertoriées sont à 98% des mineur.e.s et à 78% des femmes. La question du recrutement des éducateurs au sein des fédérations se pose légitimement. Dans le courrier déjà évoqué plus tôt de Roxana Maracineanu aux fédérations elle rappelle que « les éducateurs sportifs sont soumis à l’obligation de qualification et doivent être titulaires d’une carte professionnelle ». L’obtention de cette carte est soumise à une déclaration qui « implique un contrôle automatique de l’honorabilité⁴« . Le Monde écrivait le 4 juillet dernier au sujet des éducateurs mis en causes: « Sur ces 83 éducateurs rémunérés, 47 se trouvent sans carte professionnelle à jour. Un document pourtant obligatoire, car censé justement garantir leur honorabilité« .⁵ Contacté par nos soins, Maître Alvyn Gobardhan, spécialisé dans le droit du sport, nous précise « Le Code du sport n’est pas silencieux à ce sujet […] Il s’agit notamment de l’article L. 212-9 qui interdit l’enseignement ou l’animation d’activité physique à toute personne ayant été condamné pour des crimes et délits spécialement prévus (et notamment des infractions relevant des atteintes à l’intégrité physique, en ce compris les agressions sexuelles). » Il précise par la suite que le non-respect de cette interdiction est sanctionné « au maximum » par un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende. Ces dispositions s’appliquent à toutes les fédérations sportives, indépendamment de la réglementation décidée en leur sein. Il ajoute « En principe, le respect de cette interdiction est contrôlé : par exemple, le candidat à un diplôme de brevet d’état d’éducateur sportif doit remettre un casier judiciaire ».
Une communication ambitieuse pour une efficacité relative?
Le Ministère des Sports a fait de cette cause son cheval de bataille prioritaire. Il souhaite encourager la libération de la parole et a, en ce sens, entrepris plusieurs missions de communication. Le 20 juillet dernier, dans une vidéo publiée sur le compte Twitter du Ministère⁶, Didier Deschamps, Nicolas Batum, Florent Manaudou, Clarisse Agbegnenou ou encore Sarah Abitbol se succèdent dénonçant les violences dans le sport et encourageant la libération de la parole. Toujours sur les réseaux sociaux, le Ministère avait mis en place le hashtag #TousConcernés. Mais malgré l’importante communication (nécessaire) autour du sujet, Mediapart met en cause l’efficacité du Ministère des Sports par l’intermédiaire de Sophie Boutboul.⁷ La Journaliste prend deux exemples d’enquêtes qui traînent en longueur, suite à des plaintes datant de 2017 et 2018, ayant nécessitées l’intervention de deux syndicats fin 2019 et début 2020 pour faire bouger les choses. L’inaction des établissements concernés témoigne du silence du monde du sport. Des promesses de changements, des promesses d’actions, des promesses de justice… S’il est trop tôt pour juger de l’efficacité de la Convention de prévention des violences sexuelles dans le sport et des dispositions prises par le Ministère des sports, ici doit résider l’exigence : changement, action, justice. Sans quoi la libération de la parole ne pourra se faire.
A noter que les violences sexuelles ne comprennent pas seulement les viols et tentatives de viols. Jacky Bettenfeld, président de la fédération française de Handball explique « Le jeu de l’olive est un crime […] il ne faut rien laisser passer ».⁸ Rappelons que la banalisation de la violence encourage à la multiplication de ce type de comportement.
Des numéros sont mis à dispositions pour les victimes de violences sexuelles : le 119 Allô Enfance en Danger et le 3919 Arrêtons les Violences. A chacun d’entre nous d’être vigilent, à chacun d’entre nous d’écouter, à chacun d’entre nous de ne rien laisser passer.
Nathan Fouchet
¹ https://www.documentcloud.org/documents/6766639-20200110Courrier-De-La-Ministre-Des-Sports-Aux.html
² https://www.colosseauxpiedsdargile.org/la-loi/#:~:text=Selon%20l’article%2040%20du,l’article%2040%2D1.
³ http://www.sports.gouv.fr/accueil-du-site/actualites/article/prevention-des-violences-sexuelles-dans-le-sport-bilan-et-etat-des-lieux
⁴ Honorabilité : qualité d’une personne dont la conduite est conforme à une norme morale socialement établie. (cntrl)
⁵ Le Monde, « Violences sexuelles : le ministère des sports mesure « l’ampleur du séisme », Adrien Pécout, 01 juillet 2020. https://www.lemonde.fr/sport/article/2020/07/01/violences-sexuelles-dans-le-sport-pres-de-180-personnes-mises-en-cause_6044844_3242.html
⁶ https://sports.orange.fr/divers/article/deschamps-manaudou-mossely-tous-unis-face-aux-violences-exclu-CNT000001rLuAC.html
⁷ Mediapart, « Malgré ses promesses, le ministère des sports mis en cause dans une affaire de violences sexistes », Sophie Boutboul, 23 mai 2020. https://www.mediapart.fr/journal/france/210520/pour-ensemble-sport-malgre-les-promesses-le-ministere-des-sports-peine-encore-lutter-contre-les-violences
⁸ Les grandes questions du sport, 24 juillet 2020.