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Mario Bellatin : une approche de la fiction de l’argent dans la littérature.

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Mario Bellatin : une approche de la fiction de l’argent dans la littérature. Posted on 14 avril 2021

La relation entre l’argent et la littérature est une dichotomie qui engendre une multiplicité d’horizons de sens qui se confrontent entre la notion spirituelle et matérielle des deux phénomènes, une différence qui a conduit à créer un pont narratif à partir duquel de nombreux écrivains ont vu dans l’argent une thématique de présentation des angoisses, des désirs et des craintes les plus profondes des sujets. Dans les récits, la fiction de l’argent n’est pas qu’un simple objet ou accessoire, mais représente le moteur essentiel de la narration. Parmi les auteurs qui figurent dans le domaine des fictions de l’argent se démarque Mario Bellatin, écrivain et photographe, lauréat de multiples prix littéraires, et dont le roman Salon de beauté (¨Salón de Bellezas¨) a été reconnu en 2007 parmi les 100 meilleurs livres en langue espagnole des 25 dernières années. Les œuvres de Bellatin ont comme principales caractéristiques des thématiques qui représentent la cruauté, la laideur et la maladie par une approche qui cherche à aller au-delà de la lisibilité. 

L’œuvre de cet écrivain mexicain comprend plus de 30 publications composées de récits, de romans et d’essais, accompagnés de la création d’une École Dynamique des Écrivains (¨Escuela dinámica de escritores¨) et du pari éditorial Los cien mil libros (¨Les cent mille livres¨), faisant de sa proposition littéraire une réflexion interne sur le rôle de l’écrivain et les modes de production et de circulation de la littérature. D’une importante hybridité littéraire et culturelle, l’univers de Mario Bellatin présente dans ses œuvres un lien direct entre la littérature, les arts plastiques, la photographie et la peinture ; un fait qui est un élément clé pour comprendre son œuvre. Dans ses écrits, il est possible de trouver un style qui crée un jeu entre les barrières de la réalité et de la fiction, et dont le but est d’exprimer la nature même de l’écriture comme une possibilité de construire un monde symbolique propre.

En 2013, il publie son roman El hombre dinero (¨L’homme d’argent¨), une œuvre qui raconte comment l’argent opère et sa relation avec les personnages, la littérature et l’environnement social. Au-delà d’une perspective purement économique, cette œuvre nous présente un concept de l’argent qui nous permet de le comprendre en passant d’un sens matériel à un diagnostic socioculturel, reflétant ainsi la dématérialisation de ce dernier et la compréhension de sa réalité à travers la mutabilité de son essence. La particularité qui ressort de ce roman est le caractère symbolique de la relation entre l’argent et la littérature, un fait qui parvient à relier les personnages et leurs mondes d’expériences à la notion de valeur, dans une narration qui met en évidence la réalité des sociétés modernes immergées dans une structure de capitalisme économique.

Bellatin crée un récit immergé dans des jeux de langage qui permettent de comprendre les expériences les plus représentatives du sujet en enquêtant sur la conscience des personnages sous forme de narration anachronique, générant ainsi une sorte de préservation de la mémoire et une compréhension du monde de la vie. L’histoire se situe dans la conscience et les sentiments les plus profonds du protagoniste en utilisant le souvenir comme une possibilité de se remémorer le temps passé, qui est rappelé par l’expérience du sujet et le positionnement d’un ¨moi passé ¨ à travers une série d’expériences et de vécu qui interagissent dans des liens d’interdépendances avec d’autres sujets. Cette histoire est divisée en deux parties et est racontée en trois récits : enfance ; écriture ; et histoire, à partir desquels il est possible de participer à la réflexion méthodique du protagoniste, effectuant ainsi, un voyage dans le temps qui rompt avec la linéarité temporelle pour présenter différents moments expérientiels tels que: sa naissance, son enfance, le début du processus d’écriture dans sa vie, ainsi que la relation avec son père et avec son rêve récurrent ¨El sueño del hombre dinero¨ (¨le rêve de l’homme d’argent). Ce roman représente un récit dense qui parvient à relier l’argent à l’histoire complète du protagoniste et ses rapports avec la littérature, la famille, l’écriture et la dynamique sociale.

La construction du personnage El hombre dinero est générée depuis la voix du protagoniste, qui crée une union des histoires du rêve de son père et configure dans la deuxième partie la totalité de son existence. Le jeu sur la signification du prénom de ce personnage structure la première logique de son identité ; un homme fait et obsédé par l’argent. Ce personnage considère qu’il a le droit de posséder tout l’argent du monde, mais, loin d’être l’argument central de son existence, l’importance de sa réalité réside dans les symboles et le sens que ce personnage donne aux types d’argent, qu’il classifie à partir de sa propre subjectivité. Dans la structure de l’œuvre, l’argent devient alors un bien qui acquiert des significations en fonction de sa nature et acquiert ainsi des classifications telles que : ¨précieux¨, ¨récupéré¨, ¨ antique¨ et ¨volé¨, un fait qui le délimite et le transforme en un bien qualitativement hétérogène. En effet, à ce stade, il est nécessaire de souligner la fonction différenciatrice du dénommé ¨argent précieux¨, qui génère une rupture dans la logique d’interprétation du capital par le personnage, car sa valeur répond à une distinction de type affectif. Cet argent est le centre de réflexion de la vie du personnage étant donné qu’il structure un lien qui a comme objectif ultime la recherche de son origine et du sens de sa réalité. Appelé aussi argent antique, ce capital crée une relation qui établit un lien, quelque peu satirique, entre l’argent et la littérature, représentant, de cette manière, un fétiche notoire du personnage pour recueillir de l’argent avec des visages d’écrivains qu’il n’avait jamais lus de sa vie.

¨Curieusement, il ne l’avait pas fait de manière traditionnelle, c’est-à-dire en lisant un auteur de son intérêt, mais il possédait des images d’auteurs qui se trouvaient sur la surface des billets de sa collection. Tout au long de sa vie, il avait gardé de l’argent qui montrait les visages de Shakespeare, Cervantès, Dante Alighieri. ¨p.94

Cette obsession avec l’argent, présente au cours du roman, remet en question le caractère de l’argent dans la dynamique sociale en décrivant son importance comme quelque chose de vitale dans le monde de la vie, et en faisant allusion à la nécessité consumériste dans laquelle le champ littéraire peut se voir immergé quant à la consommation et l’accumulation matérielle d’œuvres littéraires dont la valeur - au-delà d’une simple exposition culturelle - est inconnue.

De même, en ce qui concerne la présence de l’argent – et les types d’argent – dans l’histoire, il devient impératif d’établir la réalité du personnage qui prend le rôle principal dans la deuxième partie du roman ; El hombre dinero (l’homme d’argent). Ce personnage établit une dichotomie qui, dans un premier temps, prend en considération l’existence de sa vie étant donné que la construction de son identité est configurée dans le rêve du père du protagoniste qui, dans une tentative d’échapper à son existence tourmentée, crée une histoire qui donne vie à ce personnage. Mais au-delà de l’existence de l’homme d’argent comme produit d’un rêve, cela génère un conflit dans la temporalité de l’histoire puisque son identité réside dans la conscience du père. De là, la réalité de l’homme d’argent établit une double expérience entre rêve et expérience, d’une part, comme invention du père, mais également comme désir intérieur de devenir lui-même l’homme d’argent de son monde de la vie ; générant ainsi que l’existence de ce personnage soit configurée dans une réalité monde-rêve.

Dans ce roman, l’argent, loin de servir comme un sauvetage, parvient à rendre malades, fous et obsédés les protagonistes, créant une intrigue qui remet en question le thème de l’argent et son influence dans le monde à partir d’une logique qui s’éloigne de sa conception traditionnelle – considéré comme capital économique –, pour représenter l’argent et ses diverses manières d’interagir avec les individus et lire la dynamique sociale à partir d’une relation entre monde fictif et monde réel. Dans cette œuvre, la narration parvient à lier écriture et argent, imagination et capital, à partir d’une vision où  l’argent n’est pas présenté comme un héros, notion largement boursière, mais rompt avec les paradigmes établis et est présenté à partir de son développement dans les structures les plus internes de la vie familiale et individuelle des sujets.

Dans ce roman, le capital économique représente le véhicule d’interaction des sujets dans une relation d’interdépendance qui lie à la fois le sens matériel et le sens symbolique, générant avec cela, un processus de réduction transcendantale qui commence par une notion mercantile pour continuer de comprendre l’argent comme un phénomène du monde. La relation entre l’homme et l’argent est liée dans la narration en présentant la nature mutable de ce bien et met en évidence le lien direct entre le monde des expériences des hommes et les biens matériels.

- ¨Il est mort ? ¨- il me semble que mon père demanda dans le vent pendant que moi j’étais presque endormi à côté de lui.

-¨Non, il a perdu son argent, ce qui est pire¨ je l’entendis se répondre à lui-même¨. p.47

Cet univers narratif parvient à briser les barrières du temps et de la narration, pour exprimer le rôle de l’argent dans les sociétés actuelles et le possible effet d’obsession qu’il peut générer chez les hommes, créant ainsi une intrigue qui interroge la réalité moderne idéalisée dans le capital économique en termes de rêve ou de cauchemar. Dans les mots d’un autre créateur de représentations de l’argent dans la littérature, avec Borges dans son magnifique conte magnifié Le Zahir, nous rencontrons la question fondamentale qui pourrait nous amener à nous pencher sur l’argument central du roman, ¨ Lorsque tous les hommes ici-bas penseront jour et nuit au Zahir, qui sera un songe et qui sera une réalité, la terre ou le Zahir ? ¨ (Borges, Le Zahir, 1947). C’est précisément à partir de cette question que l’histoire proposée par Bellatin construit une intrigue qui interroge sur la figure de l’argent et son influence dans le monde de la vie, dans les dynamiques culturelles et dans la société, à partir d’une réalité qui rompt avec la conception traditionnelle, pour représenter l’argent et ses multiples façons d’interagir avec les hommes. En comprenant le caractère abstrait de cet objet et sa relation avec l’historicité des personnages, il est possible de comprendre les représentations de l’argent, mettant ainsi en évidence une perte du sens économique et un gain du sens métaphorique.

Pour conclure, on peut comprendre que les notions de capital économique présentées dans le roman El hombre dinero de Mario Bellatin établissent un jeu d’horizons de sens à partir d’une idée qui rompt avec la temporalité et la logique binaire traditionnelle pour laisser place à une écriture qui permet de donner un sens à l’existence, et dans laquelle deux aspects principaux ressortent. Premièrement, l’élément clé du fait fantastique dans le récit est produit par l’utilisation de l’argent comme symbole de représentation, et deuxièmement, l’élément clé pour sa compréhension se trouve dans la lecture, cette dernière permettant – à partir de la connaissance du monde de la vie – de comprendre le fonctionnement de l’univers narratif. Dans ce récit, l’argent est mutable et n’a pas de valeur d’échange, passant ainsi d’une logique purement mercantile à une représentation d’une analyse des interactions de l’argent avec les individus et l’environnement social.

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