Il était une fois un conte… Je vais vous raconter une histoire, celles des contes populaires. Derrière cette littérature adressée aux petits et grands se cachent les trésors d’une nation, des textes intemporels qui ont traversé les frontières. Ces histoires, objets de culture transnationale, se transmettent ainsi de génération en génération. Mais d’où viennent les contes ? Pourquoi ont-ils été écrits ? Dans cet article, je vous parlerai de contes d’auteurs différents, nous évoquerons les Contes des frères Grimm, les Contes populaires russes d’Alexandre Afanassiev ainsi que les Contes d’Andersen.
Cassons d’abord quelques stéréotypes…
Les contes sont-ils destinés avant tout aux enfants ?
Non… Les contes ne sont pas réservés exclusivement aux enfants. D’où vient cette idée reçue selon laquelle le conte est destiné aux enfants ? La plupart des auteurs de contes s’intéressent à l’enfance, il y a parfois une prédominance du sujet dans les recueils de contes, c’est le cas pour Andersen qui a beaucoup parlé de sa propre jeunesse dans ses oeuvres (notamment ses peurs et angoisses). Si au départ, ces récits n’étaient pas spécialement conçus pour les petits, l’essor de la littérature jeunesse au XIXe siècle a changé cette perspective, les contes ont alors progressivement pris pour cible, en plus des adultes, les enfants. Cependant, ces récits n’étant pas une littérature à l’origine faite pour les enfants, plus un conte est proche de son origine (origines folkloriques), moins il est destiné à un jeune public. Il faut donc attendre le XVIIIe/XIXe siècle pour que les éditions transforment le conte pour qu’il soit destiné aux enfants.
Est-ce que les contes contiennent une morale ?
Oui et non. Les contes n’ont pas toujours de morale. Il faut différencier le conte de la fable, celle-ci est très souvent un apologue, c’est-à-dire un court récit avec une morale. Les contes sont pour la plupart polysémiques, ils ont donc plusieurs lectures possibles, des lectures qui ne contiennent pas toujours une valeur morale. Au départ, les contes populaires n’ont pas une visée édifiante, ils ne font pas partis de la littérature d’élite destinée aux nobles mais forment une littérature populaire ; la notion de morale n’est donc pas au coeur des préoccupations d’un conte. Néanmoins, nous pouvons retrouver dans certains contes une leçon à tirer, des paroles sages.
Petite contextualisation des oeuvres
LES FRÈRES GRIMM
Les Contes de Wilhelm (1785-1863) et Jacob Grimm (1786-1859) paraissent en 1815 en Allemagne. Nous sommes alors au sein du royaume de Prusse dans l’Empire allemand. La population aspire à une certaine unité nationale. De 1812 à 1815, Napoléon occupe alors l’Allemagne et souhaite y apporter la culture révolutionnaire française. Deux cultures se mêlent : la culture nationaliste et la culture révolutionnaire. Les contes des Grimm sont les plus connus et servent de pivot.
Les Grimm ont écrit 201 contes. Parmi les contes les plus célèbres des deux frères, on trouve : Blanche-Neige, Cendrillon, La Belle au bois dormant, Le Petit Chaperon rouge, Hansel et Gretel, Raiponce, Nain Tracassin, Barbe Bleue, Le conte du genévrier…
HANS CHRISTIAN ANDERSEN
Les premières publications des Contes d’Hans Christian Andersen (1805-1875) sont publiés en 1835 au Danemark. Il s’agit alors du plus vieux royaume d’Europe. Les textes sont écrits dans la langue locale ce qui permet d’affirmer la culture nationale. De plus, une langue est un facteur d’unité, en écrivant dans la langue du pays, on unifie la population sous une culture commune. L’affirmation de la culture nationale est aussi due au fait qu’Andersen invente ses contes, il a donc une posture davantage inventive, c’est un auteur de contes et non un collecteur. Il fonde une culture populaire.
Vous connaissez sûrement quelques contes d’Andersen : Le Vilain Petit Canard, Les Habits neufs de l’empereur, La Reine des neiges, La princesse au petit pois, La petite Sirène, La Petite Fille aux allumettes… En tout, Andersen a écrit 146 contes.
ALEXANDRE AFANASSIEV
Les contes russes populaires (« Narodnye russkie skazki ») d’Alexandre Afanassiev (1826-1871) paraissent en 1855. Ce folkloriste russe a rassemblé et publié des centaines de contes traditionnels (environ 600), dont la plupart sont des contes merveilleux. Afanassiev est un collecteur de contes particulièrement connu qui remporte un vif succès dès sa première publication de contes. À cette époque, la Russie est un état nation qui contre l’attaque de Napoléon et cherche à s’affirmer grâce à sa culture.
Les contes russes rassemblent les récits populaires slaves orientaux. Parmi ses contes, on trouvera par exemple : Emilian le fainéant, Les sept Siméon, Ivan Tsarévitch, l’Oiseau-de-feu et le Loup-gris…
Le conte : un genre hybride difficile à caractériser
Un conte est un récit, plus ou moins bref, fictionnel et invraisemblable. Il y a souvent l’intervention du merveilleux. Il s’oppose au réalisme. Le conte emprunte à un bon nombre de genres différents. Il est à la fois proche de :
- La fable car il peut y avoir une sorte de moralité, de sagesse.
- La comptine/proverbe.
- La nouvelle, une histoire courte avec peu de personnages.
- Le roman, on peut trouver des contes divisés en plusieurs parties, des récits longs et complexes.
- L’autobiographie (Andersen et Le Vilain Petit Canard qui s’apparente à ce qu’il a vécu).
D’un point de vue étymologique, le conte traduisait le fait de raconter des choses réelles. Du latin >computare qui signifie « compter, raconter », le terme « conte » a progressivement changé au fil du temps, il prend le sens de raconter des faits qui ne sont pas vrais.
L’importance de la parole : une transmission orale
Les contes sont faits pour être conter, c’est par le biais de la parole que ces récits se transmettent. En cela, ils se rapprochent des épopées qui circulaient à l’oral. Ils étaient jadis lus en public à haute voix. Le genre conserve d’ailleurs une partie de cette oralité avec la fameuse formule : « Il était une fois ». Nous trouvons dans certains contes des proverbes, une sorte de sagesse ancestrale qui devient une parole ritualisée. Les contes célèbrent la parole à travers des dialogues dans lesquels on trouve des onomatopées qui traduisent un indice d’oralité, ou à travers des chansons qui peuvent être intégrées à l’histoire et nécessaires à la compréhension du conte. La parole est alors bien souvent quelque chose de sacré.
Des contes populaires ?
Le terme « populaire » possède plusieurs sens. Dans quel sens les contes sont-ils populaires ?
Pour les frères Grimm à l’instar d’Afanassiev (qui rappelons-le sont des collecteurs de contes puisqu’ils cultivent les contes, ils les imitent, les écrivent pour les transmettre sans pour autant les inventer), le principal auteur et nous pouvons même dire véritable auteur des contes c’est le peuple. En effet, c’est à partir d’une culture populaire, d’histoires transmises par le biais, le plus souvent, de la parole que les contes perdurent. Pour Andersen, les contes sont dits « populaires » car le public visé est le peuple.
Pour comprendre l’importance des contes et de la culture populaire, il ne faut pas oublier que ce qui fait en partie la force d’une nation, c’est sa culture, une culture qui la différencie des autres peuples, une culture qui lui est propre et qui permet alors de s’affirmer. L’affirmation d’une unité nationale a de grandes répercussions politiques. En effet, politique et unité culturelle sont intimement liées. De plus, comme dit précédemment, les contes sont écrits dans la langue nationale, élément culturel commun d’un peuple qui constitue alors une nation. On pourrait également remarquer qu’à travers la langue, le langage utilisé, un peuple dépose sa culture, tout est donc lié quand il s’agit d’écrire ou collecter des contes. On voit alors dans les contes quelque chose qui rassemble une population, qui lui donne les mêmes éléments culturels, des histoires transmises, parfois traduites qui permettent aussi d’avoir une sorte de proximité avec le passé, un passé que l’on cherche parfois à comprendre ou que l’on idéalise. Les contes contribuent donc à l’unité nationale.
Distinction entre collecteur de contes et inventeur
Les collecteurs de contes s’appuient sur ces récits qui sont racontés de la bouche du peuple pour les mettre ensuite par écrit. Les Grimm et Afanassiev ont davantage une démarche scientifique en tant que collecteurs, ils cherchent à se rapprocher du passé en reprenant une langue ancienne, ce que l’on appelle le vernaculaire (langue parlée à une époque donnée). Ce projet n’est pas au départ destiné aux enfants mais aux adultes. On notera par ailleurs que la plupart des contes des frères Grimm connaissent une fin tragique. La démarche d’Andersen est différente, l’inventeur de contes a un projet poétique, il imite la façon de faire des contes folkloriques. Pour créer ses contes, il prend en compte sa vie, son enfance, la vie quotidienne mais aussi certains contes déjà publiés. Par exemple, Le vilain Petit Canard est une référence à sa vie ; Andersen fût un enfant rejeté par sa mère après le décès de son père. Les contes permettent à Andersen d’échapper à la réalité afin de créer un monde imaginaire idéal tel qu’une soeur aimante, une famille qui lui donne beaucoup d’affection. Ils sont écrits, à l’inverse des Grimm, pour les enfants.
Concernant les sources des contes collectés, il est difficile d’en trouver la véritable origine puisque l’on part d’une matière orale. Wilhelm et Jacob Grimm ont pris une culture orale ancestrale et indatable pour la mettre par écrit, s’agissant de légendes, il n’y a pas réellement de sources attestées. Afanassiev, ayant été sollicité par la Société russe de géographie de Saint-Pétersbourg pour publier ces récits imaginaires, s’est servi d’archives de contes pour fabriquer son recueil. Il s’appuie sur la culture folklorique (matière poétique, recueil des histoires d’un peuple) et la mythologie païenne.
La lecture des contes
Certains ont une approche symbolique des contes qu’ils voient comme un matériau servant à comprendre d’éventuels problèmes psychiques. Le conte serait ainsi une manière d’aider les enfants à grandir et à passer à l’âge adulte. Le sens profond des récits permettrait d’éduquer les enfants à la vie. Ils seraient une sorte d’école de la vie transgénérationelle. Il y aurait un enseignement initiatique par le conte grâce à tous les symboles présents, que ce soit les lieux ou les objets. Néanmoins, il ne faut pas oublier que si le conte possède une lecture symbolique, celle-ci est polysémique ! Il n’y a pas une manière de lire un conte mais une multiplicité. Chaque lecteur reçoit le conte différemment.
Les contes sont la deuxième oeuvre la plus republiée après la Bible. Aujourd’hui, on continue à lire des contes, généralement aux enfants. C’est au XIXe siècle qu’on trouve un engouement pour les contes, beaucoup d’écrivains se mettent à imiter les Grimm. La mise par écrit des contes permet leur transmission et la postérité qu’ils connaissent, tout comme les traductions de contes.
Les adaptations et réécritures des contes dans la culture moderne
Depuis les diverses publications des contes, il existe un grand nombre d’adaptations et de produits dérivés. Par exemple, la série Grimm est un détournement commercial des contes. On trouve également des jeux de société tels que Sagaland de Ravensburger, des jeux vidéos, des parcs d’attraction… L’univers merveilleux du conte a été récupéré par l’industrie du divertissement.
Il y a aussi d’innombrables traductions et retraductions, on traduit massivement les contes dans les langues internationales mais aussi dans des langues locales, le but étant de toucher le plus de monde possible. Les traductions constituent une sorte de réécriture puisqu’elles diffèrent du texte original, il s’agit d’un compromis entre la langue source et la langue visée. À cela s’ajoutent les illustrations des contes qui constituent de véritables oeuvres d’art. Elles permettent de s’approprier l’histoire et d’avoir un support pour les personnes qui ne savent pas lire. L’image permet parfois une meilleure compréhension des oeuvres. Ces illustrations laissent aussi une part d’inventivité orale, en effet, grâce aux images, on peut reconstituer l’histoire sans être collé au texte.
D’un point de vue cinématographique, le conte est un support culturel du média de masse. Il est repris entre autres par Walt Disney. Chez Disney, on trouvera l’univers initial du conte, les personnages, ainsi que de nombreuses chansons ajoutées, ce qui rappelle le caractère oral des récits d’origine. Le conte peut être manié par tous les arts : la musique, le théâtre, le cinéma, la littérature, la peinture, la danse, l’opéra… Aujourd’hui encore, les contes font partis de notre culture, une culture que l’on continue à transmettre.
Excellent… Clair, intéressant, inspirant. Merci Tiphaine!