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Archiver la performance artistique? Image ou archive?

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Archiver la performance artistique? Image ou archive? Posted on 24 février 2020

L’image d’une manière générale constitue une source d’information majeure et occupe une place importante. Celle-ci, depuis qu’elle existe prend effectivement de plus en plus de place dans la société et dans notre monde en général. Qu’elle soit régie par une volonté religieuse, politique, publicitaire ou autre, elle impacte au quotidien notre façon de voir le monde et peut bouleverser les opinions. Témoignage de son importance dans notre société, une science de l’image est créée.

Dans le domaine artistique en particulier, toutes les époques et les mouvements artistiques sont rattachés de près ou de loin à l’image. A partir des années 1960, une tendance nouvelle apparaît. Certains artistes souhaitent faire sortir l’art des cadres institutionnels et s’adonner à de nouvelles actions, ne laissant alors aucune trace. C’est le cas de la performance. Cette pratique officiellement reconnue à partir des années 1970 naît dans un contexte social et politique où la société soulève de nouveaux questionnements.

Les années passent, mais rapidement, même si la performance reste un mode opératoire de l’instant, la question archivistique fait son apparition. En effet, ne pas conserver de trace de son œuvre peut faire naître un sentiment de frustration chez l’artiste. Garder une image c’est aussi éviter les confusions ; Laurie Anderson (artiste et performeuse américaine) commente qu’après avoir relevé plusieurs commentaires tels que « [j]’ai bien apprécié ce chien orange que vous aviez dans ce spectacle ! » [1], alors qu’il n’est question à aucun moment d’un chien orange dans sa performance, voit l’utilité de cette ‘preuve’ par l’image.

Laurie Anderson © Annie Leibovitz

Plusieurs moyens sont alors développés et imaginés pour ce faire : protocoles, dessins préparatoires, témoignages oraux ou écrits, objets laissés ou réalisés suite à la performance. Les artistes ont des outils à leur disposition, mais deux d’entre eux vont particulièrement prendre de l’importance : la captation vidéo et la photographie.

La photographie fait son apparition au XIXème siècle et est un des moyens les plus efficaces de garder une trace, une image. En présentant une méthode de conservation accessible, la photographie devient la « source visuelle la plus exploitée par les musées »[2]. La vidéo quant à elle est introduite suite à la commercialisation du système Portapak Sony[3] et utilisée pour la première fois dans une œuvre d’Andy Warhol, en 1965[4]. Bien qu’il ne s’agisse pas à proprement parler d’une performance dans ce cas-ci, le développement des nouvelles technologies incite les artistes à poursuivre dans cette voie.

Sony AV-3400 Camera Portapak

Alors que différents acteurs (artistes et historiens de l’art) semblent avoir trouvé un juste milieu, apparaît au sens pratique et institutionnel du terme la question de l’archive de la performance. A la fin du XXème siècle, les musées veulent s’emparer de ces images et les faire entrer dans leurs collections. Seul problème, c’est justement un art qui n’y entre pas volontairement, du fait de sa définition même. 

A ce stade, d’autres questionnements apparaissent. Quel statut prend l’image ? Doit-on privilégier l’image en tant qu’œuvre ou en tant que document d’archive ? En considérant l’image comme une possible œuvre d’art, ne perd-on pas la notion d’authenticité ? Est-ce que finalement, ne détenir qu’une image d’une performance, ne change pas complètement le sens de l’œuvre originelle ?

Le but premier de la performance est de vivre une expérience, un temps fort, de délivrer un message à un public présent. Avec l’image ce n’est plus le cas. Il est important pour éviter toute confusion, de faire la distinction entre le document artefact et l’œuvre. Le sens qu’on va y mettre dépend notamment des musées et autres institutions qui s’approprient au fur et à mesure les images de la performance.

Si l’image est disposée à la verticale, telle un tableau, alors il faut la comprendre comme une œuvre ; en revanche si elle est disposée à l’horizontale, sous une vitrine à la manière d’un manuscrit, elle est à comprendre comme un document d’archives, comme le pourrait être une photographie d’époque. Cette décision revient au commissaire d’exposition lorsqu’il s’agit d’une exposition, et au conservateur lorsqu’il s’agit d’une collection muséale.

Malgré tout, même si la question de l’archive de la performance pose problème, il reste important que les musées aient accès à ces sources. Elles permettent en effet, à la fois de construire l’histoire de l’art, mais également de faire avancer les recherches puisqu’il s’agit d’une pratique artistique relativement nouvelle.                                                                                             

Certains théoriciens ou historiens de l’art proposent, comme l’américaine Peggy Phelan[6], de permettre cet accès aux musées, qu’ils puissent détenir ces images en question, mais afin qu’aucune ambiguïté ne soit présente, que les images soient en réserve, comme un fond d’archives et non pas exposées en tant qu’œuvre d’art, bien qu’elles constituent une des seules traces des performances.

Finalement, même si ces questions sont présentes depuis plusieurs années, aucune réponse n’a été réellement apportée.  Les institutions continuent d’acquérir ces images, et libre à chacun la façon d’entreposer ces sources.


Actualité/ SPECTACLE

Laurie Anderson, The Art Of Falling. Samedi 21 mars 2020 – 20h30. Philarmonie de Paris. https://philharmoniedeparis.fr/fr/activite/spectacle/20452-laurie-anderson


[1] Laurie Anderson, « Voilà le temps, voilà l’enregistrement du temps », dans RoseLee Goldberg, Performances. L’art en action, Paris, Thames & Hudson, 1999, pp. 6-7.

[2] Cuir Raphael, Mangion Éric Mangion, Villa Arson Nice, La performance, vie de l’archive et actualité [colloque International, 25, 26, 27 Octobre 2012, Villa Arson, Nice], Dijon,  Les presses Du Réel, 2013, pp 70.

[3] Tronche Anne, dans Boulouch Nathalie, Zabunyan Elvan, et Bégoc Janig,  La performance entre archives et pratiques contemporaines, Rennes Châteaugiron, Presses Universitaires de Rennes Archives De La Critique D’art, 2010, pp 15.

[4] Andy Warhol, Outer and Inner Space, États-Unis, Noir & blanc, 33’, 1965. Il utilise ce nouveau médium pour doubler l’image de son ready-made.

[5] Cuir Raphael, Mangion Éric Mangion, Villa Arson Nice, op.cit, pp 80.

[6] Auteur contre l’idée de conserver une trace par l’image d’une performance artistique. Elle dit : « La seule vie de la performance résulte dans le présent. La performance ne peut pas être sauvée, enregistrée, documentée, ou d’une autre manière participer à la circulation de représentations : une fois que cela arrive, cela devient autre chose que la performance » dans Phelan Peggy (dir.), Unmarked. The Politics of Performance, Londres/New York, Routledge, 1993, p. 146. (Traduit de l’anglais).

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