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Alexandra David-Néel, le parcours inspirant de la première étrangère à Lhassa.

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Alexandra David-Néel, le parcours inspirant de la première étrangère à Lhassa. Posted on 7 septembre 2020

Alexandra David-Néel est connue à travers le monde pour avoir été la première Occidentale à pénétrer dans la capitale interdite du Tibet : Lhassa. Sa vie est aussi le parcours inspirant d’une femme à cheval entre deux siècles, qui brava les interdits et brisa les préjugés pour assouvir son désir infatigable de découverte.

Alexandra David-Néel, une vie de centenaire.

Sa jeunesse.

Alexandra David-Néel portant l’une de ses tenues de cantatrice
Maison A. David-Neel, Digne-les-Bains, PHDN 12b.

C’est à Saint-Mandé près de Paris qu’Alexandra David naît le 24 octobre 1868. L’unique enfant d’un instituteur protestant et républicain et d’une Belge catholique, elle vit une enfance sans amour et isolée. Dès sa plus tendre enfance, bercée par les romans d’aventure de Jules Verne, elle manifeste son inclination pour les explorations. A l’âge de cinq ans, elle fugue jusqu’au bois de Vincennes ; à quinze ans elle rejoint l’Angleterre par la Hollande mais sans un sous en poche, elle est contraint de faire demi-tour ; à dix-sept ans, elle prend la fuite à pied pour l’Italie en passant par la Suisse. Alexandra est une insaisissable interrogatrice du monde et veut découvrir ce qui l’entoure de ses propres yeux. Elle pratique très tôt l’ascèse, le jeûne et s’acclimate à la vie frugale. Elle est bercée par les écrits du stoïcisme et de l’épicurisme. Pendant sa jeunesse, elle fréquente le conservatoire, où elle exerce ses dons pour le chant et où elle apprend la danse et le piano. A la fin de son adolescence, elle s’installe à Londres pour étudier les philosophes orientaux et perfectionner son anglais.  A la Société théosophique, une sorte de club privé qui participe activement à la diffusion des enseignements religieux orientaux, elle s’initie au sanskrit et au tibétain. Néanmoins, elle s’écarte peu à peu de la Société à cause de l’attirance excessive de ses adeptes pour un Orient mystifié et magique. Elle n’aura de cesse d’ailleurs, de promouvoir un bouddhisme originel qui se caractérise par l’absence de dogmes et de croyances dans le respect de l’intimité religieuse de chacun. Dans la capitale parisienne,  elle se prend de passion pour les richesses  du musée des arts de l’Asie, le musée Guimet. Sa vocation d’orientaliste nait. Elle se convertit au bouddhisme et part seule pendant un an jusqu’aux Indes. Cependant, à la suite d’un revers de fortune, elle emprunte une carrière de cantatrice pour gagner sa vie. Son métier l’amène à faire des tournées à travers le monde, de l’Opéra d’Hanoi à ceux de Grèce et de Tunisie.

Ses engagements

Pour ses voyages, elle reçoit les conseils du géographe et anarchiste Elisée Reclus, ami de son père. Alexandra David, s’affirme comme une femme intrépide, indépendante, libre et féministe. Elle conseille aux femmes de « restez seules, restez libres et fières »[1]. Elevée par un père socialiste convaincu, qui s’oppose au gouvernement de Louis Philippe et qui est contraint à l’exil –avec V. Hugo et les frères Reclus- après le coup d’état du 2 décembre 1851, elle est amenée à 2 ans au mur des Fédérés au lendemain du massacre des Communards. De plus, le cousin de son père, n’était autre que le peintre Jacques-Louis David, qui avant d’être au service de Napoléon Ier, était un membre actif de la Convention et un ami de Robespierre. Par cet héritage politique et militant paternel, Alexandra David se présente comme une féministe anarchiste anticléricale, elle dénonce dans ses essais et articles, la société machiste et sexiste dans laquelle elle évolue, prône un « féministe inventif » incubateur de nouvelles façons de penser et de faire. Elle se positionne contre le mariage et la maternité. En 1899, à 30 ans, elle publie, Pour la Vie, un pamphlet contre les institutions politiques et religieuses, elle revendique un anarchiste individualiste, où l’autorité, l’instinct spontané et la recherche du bonheur personnel ne peut se gagner qu’avec la volonté et le contre pouvoir aliénant. [2]En même temps, elle collabore avec le journal féministe et coopératif La Fronde.

Une femme émancipée.

Alexandra David-Néel habillée en mendiante.
© Wiki Commons

A Tunis, en 1901, elle fait la connaissance de Philippe Néel, ingénieur dans le ferroviaire et prend la décision d’arrêter le chant. En 1904, à l’approche de la quarantaine, elle se marie avec son amant. Très vite, elle regrette de s’être enfermée dans l’institution du mariage, elle est incapable de tenir son rôle d’épouse et se rend compte que cette vie n’est pas faite pour elle. Alexandra David-Néel sombre alors, dans une dépression que seul un voyage peut guérir. Néanmoins, durant sa longue absence, elle correspondra avec son époux qui deviendra un de ses premiers confidents[3]. Après son long périple jusqu’à Lhassa, elle est accueillie telle une héroïne nationale. Elle se pose à Digne-les-Bains, où elle écrit des essais bouddhistes et ses récits de voyage, elle réalise également des conférences et en 1937, elle repart à bord du Transsibérien pour se rendre en Chine avec Yongden- son compagnon de voyage et son fils adoptif-, étudier le Tao. Ils y résident pendant huit années. Elle finit par rentrer à Digne-les-Bains, après la guerre, où elle décède à l’âge de 101 ans. Comme elle le souhaitait ses cendres sont éparpillées dans le Gange avec celle de Yongden. Cette infatigable voyageuse et exploratrice avait demandé à ses 100 ans, son renouvellement de passeport.

Son héritage

Alexandre David-Néel est une orientaliste reconnue, elle a, pendant toute sa vie, suivit des enseignements du Bouddha (dharma). Elle a réalisé pendant ses voyages plusieurs retraites méditatives et jeûnes spirituels, elle est également une adepte du toumo[4]. Elle a obtenu par son maître yogi au Sikkim, le titre de « Lampe de la sagesse » et à son retour en France, à 64 ans, elle fonde le premier ermitage lamaïste en France. Elle est à la fois exploratrice, reporter, ethnologue, tibétologue/ orientaliste, féministe, écrivaine…  Elle a laissé un riche héritage littéraire et culturel. En effet, ses observations et récits de voyages sont regroupés dans une trilogie qui parait entre 1926 et 1933 et qui connait un large succès auprès du public. Dans ces récits d’exploration et d’aventure, elle décrit en détails les traditions, la culture tibétaine dans un panorama mystérieux et majestueux des chaines de l’Himalaya. Elle offre également une vision éclairée sur les pérégrinations d’une femme occidentale au début du XX éme siècle qui a su s’affirmer et revendiquer ses droits. Par la rédaction de plusieurs essais initiatiques et introductions générales au bouddhisme, elle contribue à populariser le système de pensée et d’une spiritualité inconnus par les Occidentaux.

Sa longue épopée sur le toit du monde.

Le Tibet, le pays des Neiges (Gangs Yul)

A l’époque d’Alexandra David-Néel, le Tibet est une contrée lointaine, inaccessible, foulée par une poignée de voyageurs et de missionnaires. Perché dans l’Himalaya, le pays est traversé par des hauts-sommets aux neiges éternelles  et est balayé par des vents en permanence. En 1924- date à laquelle Alexandra David-Néel pénètre dans Lhassa- c’est encore le Dalaï-lama, le chef politique et spirituel du pays qui gouverne, ce qui fait de l’état une théocratie. La religion pratiquée dans cet état enclavé, est le bouddhisme tantrique (vayjrayana), il permet de faire l’unité du pays.

Le palais du Potala perché à 3 700 m, ancien palais d’hiver du dalaï-lama , symbolise le bouddhisme tibétain et son rôle central dans l’administration traditionnelle au Tibet. La Chine en a fait un musée
© Sacred sites, UNESCO

Toutefois, les autorités de Lhassa refusent une ouverture aux influences occidentales et interdit aux étrangers d’accéder à la capitale, considérée comme cité sacrée. La ville abrite, plusieurs palais et temples dont le palais du Potala, lieu de résidence du Dalaï-lama et du gouvernement tibétain, qui surplombe la ville et la vallée datant du XVII éme siècle.

De plus, depuis le début du XX éme, le pays est sous haute-surveillance étrangère. Il est presque impossible pour quiconque d’y pénétrer sans autorisation du gouvernement chinois ou britannique. Bien qu’en 1911, l’effondrement de la dynastie des Qing a permis au Dalaï-lama, deux fois contraint à l’exil par les Britanniques (1904) et par les Chinois (1908) de proclamer l’indépendance de son pays, la cité monastique est sous contrôle britannique. De plus, les autorités tibétaines ont longtemps refusées l’ouverture du pays à l’influence occidentale et étrangère.

Alexandra David-Néel a découvert le Tibet à travers les récits de voyageurs mais aussi de missionnaires dont celui d’un père lazariste, Evariste Huc qui –avec le père Joseph Gabet – est l’un des derniers étrangers à atteindre Lhassa au milieu du XIXème siècle et qui laisse pour témoignage Souvenir d’un voyage dans le Tartarie, le Thibet et la Chine.

Un éprouvant périple de quatorze ans.

Joelle Désirée-Marchand, « Cartographie et exploration: le cas d’Alexandra David-Néel » Bulletin du CFC (Comité français de cartographie), n° 153, septembre 1997

C’est dans ce contexte qu’Alexandra David-Néel se lance dans un long périple. En décembre 1911, elle quitte son époux pour un voyage qui doit durer au maximum deux ans. Cependant, elle ne refoulera le sol français que quatorze années plus tard. Ce voyage est subventionné par trois ministères français pour dix-huit mois, Alexandra est chargée étudier, traduire et comprendre les textes et la doctrine bouddhistes. Elle juge les traductions françaises pas assez intelligibles et authentiques. Ce travail de traduction de livres ésotérique, lui demande une connaissance profonde du bouddhisme. Elle embarque donc pour un véritable voyage initiatique.

Alexandra David-Néel avec Yongden © Maxppp / Sylvestre

Au cours de ses années de pérégrinations, elle se rend au Ceylan (Sir Lanka), en Corée, en Inde, au Sikkim, en Chine, au Népal et au Tibet. Elle rencontre Thubten Gyatso, le XIII éme Dalaï-lama au printemps 1912, grâce d’éminentes connaissances. Au Sikkim, elle séjourne et se lie d’amitié avec le fils du souverain du royaume. C’est là-bas, qu’elle rencontre Aphur Yongden, un jeune moine adolescent qui n’hésite pas à abandonner sa famille et son héritage pour se mettre à son service et la suivre dans ses aventures. Pendant deux ans, elle passe une retraite dans un monastère à Lachen, perché à 4000m pour essayer d’atteindre le plus haut degré de la spiritualité bouddhiste. C’est durant cette retraite, que lui vient l’envie de voyager au Tibet, pays voisin du Sikkim. D’ailleurs, elle s’y aventure clandestinement avec Yongden et un guide, mais les autorités britanniques, les repèrent et ils sont expulsés du Sikkim en septembre 1916. Ils trouvent, alors, refuge au Japon, un pays auquel Alexandra ne s’acclimate pas, elle s’installe un temps en Corée, puis en Chine en octobre 1917. Pékin devient le point départ d’un long voyage dans une Chine en proie à la guerre civile. Ils restent ensuite trois ans à Kum-bum, une cité monastère dans le Tibet Amdo, c’est là-bas qu’Alexandra prend la décision d’être la première étrangère à entrer dans la ville sacrée de Lhassa, située à plus de milles kilomètres. Le plan de l’exploratrice pour parvenir à Lhassa est de se déguiser. Yongden et elle, jouent le rôle d’un moine tibétain en pèlerinage avec sa mère –Alexandra David-Néel une bhikkou[5] , ils n’emportent avec eux qu’une tente et de maigres provisions. Toutefois, ils mettent trois ans pour un voyage qui était censé durer quelques mois, ils errent, se perdent au grès des déconvenues et des rencontres. Le voyage est long, éprouvant, fatiguant. Ils parcourent 2 000km à pied ou à dos de yack, affrontant la faim, la soif, le vent, la neige, le froid, les brigands ; dupant les gardes frontières et les corps de surveillances, en dormant le jour et voyageant la nuit. Pour cette épopée et cet exploit, Alexandra David-Néel reçoit le premier prix d’athlétisme féminin.

C’est le visage empourpré de cendre qu’Alexandra parvient à entrer en février 1924 à Lhassa, grâce à une opportune tempête de sable. Yongden et elle, passent deux mois dans la ville, incognito. En réalité, les autorités avaient remarquées la pratique quotidienne étrange d’une femme qui tous les matins se lavait et s’essuyait avec un bout d’étoffe. Alexandra est un peu déçue par la cité du Potala, prouvant  que ce qui compte dans le voyage, ce n’est pas la destination !  De plus, qu’est-ce qui pourrait être à la hauteur de tant efforts, de courage, de résistance et d’obstination incroyable et sans failles ?

La vie d’Alexandra David-Néel est à peine croyable et force l’admiration, pendant toute sa vie, elle a été poussée par son désir de voyage et de découverte ainsi que par sa passion pour l’Asie. Elle laisse un héritage considérable et a ouvert la voie à de nombreuses exploratrices. Elle n’a pas craint de briser les codes et s’invente sa propre vie.


[1] DAVID-NEEL Alexandra, Le féminisme rationnel, Les nuits rouges, 2000, Paris.

[2] DELAUNAY Jonathan. « Alexandra David-Neel. Bouddhisme et drapeau noir », Ballast, vol. 4, no. 1, 2016, pp. 126-142.

[3] Leurs échanges sont compilée dans Journal de voyage.

[4] Pratique spirituelle qui vise à repousser la résistance au froid.

[5] Une nonne mendiante semblable au premier disciple du Bouddha.


Sources

CLOT Christian, PERRISSIN Christian, PAVLOVIC Boro, Alexandra David-Neel, les chemins de Lhassa, Explora, Glénat. 2016, Grenoble.

DAVID-NEEL Alexandra, Voyage d’une parisienne à Lhassa, Pocket, 1927, Paris.

DELAUNAY Jonathan. « Alexandra David-Neel. Bouddhisme et drapeau noir », Ballast, vol. 4, no. 1, 2016, pp. 126-142.

GAUTHIER Xavière, Pionnières, de 1900 à nos jours, elles ont changé le monde, Flammarion, 2010, Paris p158-159, « Alexandra David-Neel ».

https://www.franceculture.fr/histoire/alexandra-david-neel-pionniere-exploratrice-du-bouddhisme

https://www.franceinter.fr/emissions/les-odyssees/une-aventuriere-sur-les-routes-de-l-himalaya-alexandra-david-neel

https://www.geo.fr/aventure/qui-etait-lexploratrice-et-aventuriere-alexandra-david-neel-193136

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