Artiste, statut à part dans notre société et souvent fantasmé, s’assimilant à une vie de bohème, où au contraire, à une vie de crève la faim et de notoriété post-mortem… Oui je crois que nous avons tous vécus avec l’image de Van Gogh dans notre esprit.
Aujourd’hui, il faut se rendre à l’évidence, le secteur de l’art a grandement évolué. L’ère des réseaux sociaux et du numérique a changé les codes de l’exposition artistique, s’effectuant hors des murs des galeries. Pour autant, est-ce qu’on peut dire qu’il est plus facile à présent d’être artiste-plasticien à notre époque ? Qui sont les artistes d’aujourd’hui et comment s’approprient-ils ces outils ? Que veut dire être artiste au XXI ème siècle ?
Dans cette rubrique, il s’agit de rencontrer des jeunes (et moins jeunes) artistes qui ont décidé de faire de leur passion un métier. Comprendre leur parcours, ce qui les ont amenés à devenir artiste-plasticien.
Pour cette première, ayant vécu à la campagne, c’est tout naturellement que je me suis intéressée à une jeune artiste qui a grandi elle aussi au sein de ce milieu. J’ai donc rencontré Nolwenn Miché de son vrai nom, alias NoMi, jeune artiste-plasticienne de vingt-quatre ans qui possède un univers très poétique, féminin et végétal.
Yelena Parentaud : Comment est née ta vocation artistique ?
Depuis toute petite j’ai appris à dessiner toute seule, dès mon plus jeune âge cela a été un moyen d’expression pour retranscrire mes émotions. Par exemple, je sais qu’après m’être disputée avec quelqu’un, je dessinais et tout de suite ça m’apaisait. Le dessin c’était un refuge, il me permettait de me sentir mieux. Puis ma passion c’était l’équitation et les chevaux, je me suis très vite amusée à les reproduire, ça m’est venu comme ça.
En grandissant, je l’ai approfondie. J’ai pris mes premiers cours d’aquarelle au collège avec Martine Frangeul à Issé et j’expérimentais différentes matières à droite et à gauche.
Après le lycée, je suis entrée en Licence d’Arts-Plastiques à Rennes II. On avait des cours de peinture dans lesquels on nous apprenait à expérimenter par soi-même, développer à la fois sa technique et sa démarche. En parallèle, je commençais à avoir des commandes de portraits.
En troisième année, j’ai eu l’occasion de faire des stages notamment avec la sculptrice Nathalie Gauglin. J’ai pu expérimenter les techniques de la sculpture. Mon second stage était en Galerie à Nantes, cette fois c’était plutôt pour la dimension « commerciale », comprendre le rapport Galerie-Artiste.
Après mes études, je me suis envolée pendant sept mois avec une amie en Amérique du Sud, aux États-Unis et au Canada. Là-bas j’ai découvert énormément d’artiste et de « savoir-faire » ça m’a vraiment enrichi et ça m’a donné envie de continuer dans ce domaine.
Y.P : A quel moment tu t’es dit que tu allais devenir artiste ? On sait que vivre de sa passion peut être compliquée. Est-ce que tu n’as pas eu peur de te lancer complètement là-dedans ?
Disons que « devenir » artiste s’est fait assez naturellement. Dès mon plus jeune âge on me définissait un peu comme ça, mais je ne voulais pas le voir. Être artiste pour moi relevait de l’impossible. Dans mon esprit, j’avais l’image, un peu cliché, du vieux bonhomme coincé dans son atelier à faire des paysages et qui gagnait sa croûte tant bien que mal puis qui est reconnu après sa mort.
Tout ça pour dire que je ne l’avais pas envisagé au départ. A présent, je pense que l’image de l’artiste a changé dans notre société actuelle. Aujourd’hui on a plus de possibilités pour apprendre, mais aussi pour s’inspirer. On a plus facilement accès aux créations des autres, on peut découvrir de nombreux artistes. C’est ce qui m’a fait dire que c’était possible. Si une personne peut vivre de ses œuvres pourquoi je ne pourrais pas le faire ?
J’ai donc ouvert une page Instagram et Facebook. Après mon voyage, on m’a contacté pour faire une exposition au château de la Groulais à Blain. A partir de là ça prenait un peu d’ampleur et je me suis mise en « auto-entrepreneur ». Il fallait que je donne un nom à mon statut. C’était un grand questionnement que de prendre le titre d’artiste. Au cours de mes études, nos professeurs nous ont toujours appris que c’est le public qui nous qualifie comme tels.
Je me suis dit qu’avec mes commandes et l’exposition, qu’au regard des gens j’avais cette dénomination. Ainsi, je suis devenue « artiste-plasticienne ». Ce n’est pas forcément évident d’autant plus quand tu es timide et que tu manques de confiance. En ayant ce statut il faut se faire confiance et aussi accepter les critiques, car tu es exposée aux yeux des gens qui vont aimer ou ne pas aimer ton travail. Des remarques peuvent être positives ou constructives mais certaines justes désagréables. Il faut savoir se construire une carapace.
Y.P : Est-ce qu’avec Internet et les réseaux sociaux, tu trouves que ça facilite le fait d’être reconnu, de gagner en visibilité ?
Ça dépend… c’est un peu à double tranchant. En terme de visibilité c’est intéressant, on peut te contacter plus facilement. Tu laisses une carte avec tes coordonnées de ton site internet, ta page Facebook. Je sais que pour mes commandes ça m’a particulièrement aidé.
En ce qui concerne la création sur Instagram c’est à la fois hyper enrichissant. Tu as accès à une foule de créations dont tu peux t’inspirer. Après, ça peut être décourageant, car tu te compares forcément, certaines œuvres que tu vas voir peuvent te décourager. Il faut savoir se préserver de ça, connaître ses « limites ».
Y.P : Quel est ton processus de création ?
Plus jeune, je me suis beaucoup entraînée à dessiner les corps, les visages, les proportions, les expressions… qui donnent quelque chose au dessin. Je me souviens quand j’étais petite mes parents m’avaient offert un livre de Sandrine Gestin. Elle a un univers très féerique et je passais mon temps à reproduire ses dessins.
Au niveau de la peinture, si ce sont des commandes je vais essayer de cadrer mon travail et y aller par étapes, mais je reste un peu bridée. A la Fac, on nous a appris à créer avec de grands formats, à nous libérer de nos émotions et à le faire exploser sur la toile. J’ai voulu garder ça dans ma façon de créer.
Après mon voyage, je n’arrivais plus à dessiner, à peindre… le syndrome de la page blanche !
Puis un jour, dans ma chambre j’avais une grande toile qui traînait et des émotions accumulées. Je ressentais le besoin de faire « sortir » tout ça. J’ai posé ma toile sur le sol, j’ai jeté de l’encre de Chine, de la peinture, étalé cela avec les doigts. Ma série A corps perdu est née comme ça. De grandes toiles avec un fond éclaté et par-dessus des corps un peu en transparence que je travaillais à l’éponge.
Ce lâcher-prise m’a fait du bien. Lors de mon exposition au Château de Blain, j’ai pu constater que ça plaisait aussi aux autres.
A présent, j’essaie de garder ça dans mes toiles. Je viens de débuter une autre série qui s’appelle Underwater. Je peins mes fonds d’une autre manière. J’utilise le gesso (une peinture blanche très épaisse), je travaille en épaisseur. Je dispose des végétaux pour créer une première couche avec du relief. Une fois que c’est sec, je fais mon fond très éclaté avec beaucoup de couleurs et d’expressions. Je travaille avec tous les outils qui me passent par la main, je dilue, je bosse en épaisseur avec l’accumulation. Je trace ensuite mes corps par-dessus à l’acrylique blanche (et l’encre de chine).
Cette méthode de travail me correspond vraiment, ça me permet de libérer mes émotions. Je souhaite continuer ainsi pour mes futures créations.
Y.P : Tu as un univers très féminin, souvent tu représentes des portraits ou des corps de femmes accompagnés de motifs floraux, de la végétation, qu’est-ce qui te plaît dans ces motifs, que souhaites-tu transmettre au travers de tes œuvres ?
J’ai toujours eu un intérêt pour les corps des femmes. Je pense que c’est au niveau de l’esthétique des corps, de ses formes, de la diversité ça m’interpelle plus. Je prends aussi plus de plaisir à le dessiner et à le peindre. Même quand je souhaite faire des portraits masculins ils ont un aspect assez androgyne avec des traits fins, j’ai beaucoup de mal à faire des hommes un peu carrés. C’est aussi un choix féministe, je souhaite redonner une certaine place à la femme au cœur de mon œuvre. Je trouve que ça se prête bien aux végétaux, en tout cas dans mon esprit !
En ce qui concerne les végétaux, les plantes, la nature ça me tient à cœur. Pour le moment je n’ai pas vraiment de messages très précis mais j’aimerais pouvoir le mettre en œuvre. Je suis vraiment intéressée par les messages que l’on peut faire passer au travers de création. A ce sujet je pense à une artiste Chloé Wise. Elle est très forte, ses tableaux sont réalisés à la peinture à l’huile. Elle possède une maîtrise incroyable et quand tu l’écoutes en interview, tu t’aperçois qu’il y a toute une réflexion politique derrière.
En intégrant mes végétaux dans mes créations, c’est aussi l’idée de pouvoir parler de l’environnement. Je souhaite pouvoir porter l’attention là-dessus. Je désire vraiment développer ça dans mes projets futurs et j’imagine de grandes toiles… Ce sont des projets à long terme, qui n’arriveront pas tout de suite encore. Je dois peaufiner un peu tout ça. A mon avis si tu veux faire de l’art engagé, il faut vraiment acquérir une certaine confiance car tu peux très vite jouer un jeu dangereux.
Y.P : Tu as grandi dans un milieu rural est-ce que tu penses que ça joue dans ton rapport à la nature dans tes œuvres ?
Oui, je me suis d’ailleurs rendue compte de la chance que j’avais d’avoir vécu dans un tel environnement quand j’ai commencé à habiter en ville.
Souvent, petite, j’allais me promener près d’un étang avec ma famille. Tu as tout un écosystème qui t’entoure. La diversité de cet environnement m’a toujours fasciné et j’ai eu très vite envie de le reproduire.
Y.P : Quelles sont tes inspirations artistiques ?
J’ai énormément d’artistes qui m’inspirent. Le travail de Klimt me touche énormément. Cet été j’ai pu redécouvrir De Vinci en visitant le château du Clos Lucé avec ma famille. On peut revenir sur tout son parcours. C’est vraiment tout son travail technique qui me fascine et qui m’enrichit.
Edgar Degas m’a beaucoup inspiré pour les danseuses. J’ai eu une période où je dessinais beaucoup de danseuses. Je crois que ça vient de ma petite sœur qui fait de la danse classique depuis des années puis je trouve assez incroyable le mouvement des corps. Elles dégagent une élégance !
Bien évidemment, il y a Frida Kahlo sur la place des femmes dans l’art. D’ailleurs, pour découvrir les artistes féminines je conseille le livre Les Femmes artistes sont dangereuses de Laure Adler. Il permet d’avoir une rétrospective sur différentes artistes qu’on a souvent occulté dans l’Histoire et qui est encore aujourd’hui peu représenté.
Je m’intéresse également au travail photographique qui me sert de modèle pour mes corps parfois. Je pense à Brett Weston, je me suis particulièrement inspirée d’une de ses photos pour une de mes toiles. Encore une fois, se sont surtout des photos sur le corps, le mouvement.
J’ai aussi tous les artistes que je découvre sur Instagram comme Marco Grassi peintre hyperréaliste. C’est époustouflant au niveau de la technique. L ’univers de Pri Barbosa m’inspire beaucoup. J’ai découvert depuis peu qu’elle peignait des corps et des végétaux à l’acrylique.
Théo Gosselin, très connu pour ses photos, il me fait voyager… Bref, j’en ai tellement !
Y.P : Si tu devais choisir une de tes œuvres qui te correspond le mieux, ça serait laquelle ?
Je dirais une création que j’ai faite il y a quelques années déjà… Elle s’appelle Le loup. C’est une toile toute en longueur, c’est un visage de femme qui a le regard tourné vers le haut et ses cheveux dominent la surface de la toile. Il monte tout en hauteur. Tout est en mouvement et j’y ai associé beaucoup de choses, il y a une tête de loup, des feuilles et de nombreux détails. Je crois que c’est vraiment l’une des toiles qui me ressemble le mieux.
La peinture Underwater que j’ai réalisée dernièrement. Les ombres projetées à la surface de l’eau sur le corps, au niveau du travail technique elle me plaît …
Y.P : Quels sont tes projets pour la suite ?
En ce qui concerne mes projets futurs j’ai monté un collectif avec deux artistes. On s’est rencontrés au Salon du Livre de Châteaubriant avec Jean-François Carer et Denis Clavier. Jean-François est artiste sculpteur. Il travaille principalement la sculpture sur pierre associée aux métaux et à la peinture sur verre. Denis est artiste peintre. Il fait notamment des portraits de femmes africaines très expressifs et colorés. J’aime beaucoup leurs travaux à tous les deux. On s’est associé, on a commencé à faire des démarches pour faire des expositions ensemble. Une était normalement prévue au Château de Blain, mais avec les circonstances elle sera finalement reportée. En parallèle je fais des démarches pour exposer dans des cafés, ou encore au Rayon Vert petite galerie à Nantes.
Vous pouvez retrouver les créations de NoMi sur les réseaux sociaux :
- Instagram : https://www.instagram.com/nomi_artpage/
- Facebook : https://www.facebook.com/nomiartpage/
Un site Internet devrait voir le jour prochainement !