L’été pour la plupart d’entre nous est synonyme de fête est de musique : partout en France, et notamment en province, se réveillent ces événements culturels qui se déroulent sur plusieurs jours et proposent une programmation détonante et variée, dans les champs habituellement endormis. Mais d’où vient cette tradition qui cette année manque à l’appel ?
Les festivals tels que nous les connaissons aujourd’hui se réveillèrent dans les année 1960 avec les idéaux d’un monde en paix, quand les quatre coins du monde croulaient sous les bombes : Guerre Froide, Guerre du Vietnam, Guerre d’Algérie, … En 1967 aux Etats-Unis, le grand frère du Woodstock Festival apparaît : l’International Pop Festival de Monterey ouvre ses portes du 16 au 18 juin, premier rassemblement de cette ampleur et véritable tremplin d’artistes qui nous sont aujourd’hui bien familiers… Durant trois jours, c’est un véritable mode de vie qui s’épanouit comme fleur au soleil. Et des fleurs il y en a: entre les sentiers creusés par les festivaliers avides de musique, dans les chevelures sauvages des femmes, les fleurs se cachent, grandissent timidement, quand la terre entière est un champ de mine. Des fleurs contre des pistolets. Ou ensembles : Gun’s and roses. Mais ce n’est pas ce groupe que nous écouterons cette fois. En cette année de disette festivalière, replongeons-nous dans cet univers si particulier…
Ce sont les Mamas and Papas avec John Philips, ici « papa » de l’évènement aux côtés des producteurs Lou Adler et Alan Pariser et du publicitaire Derek Taylor, qui nous offrent un véritable California Dreaming dans les collines vertigineuses et sèches de Monterey. Un programme riche en dépit des grands absents comme The Beatles et The Beach Boys, dont certains membres participeront à l’organisation, ou encore The Rolling Stone et The Kinks (pour raison de visa). Néanmoins quelques pionniers de ces groupes légendaires, tels que Georges Harrison et Paul Mcartney, se faufileront plus ou moins discrètement entre les festivaliers.
Le mouvement hippie s’anime comme une nouvelle proposition face aux conflits internationaux, et au Monterey Pop festival, s’y trouve un foyer : une grande statue de Bouddha verte trônant entre les étals, couronnes de feuillages, peace and love dessinés sur le corps, et le sitar de Ravi Shankar qui résonne dans le matin. Musique traditionnelle indienne qui s’exprime ici entre les mains d’un musicien non loin d’en devenir un ambassadeur : le célèbre « Pandit », père de la jazzwoman Norah Jones, est présent sur la scène internationale depuis les années 60 et y développe ses auras musicales durant quatre heures de show. Des vagues cristallines du folklore indien, dont les influences sur la pop anglaise sont légion : de nombreux groupes tels que les Beatles effectuent un séjour en Inde, donnant naissance à l’Indian pop et l’Indian rock.
L’Indian rock de The Who par exemple, dont les inspirations asiatiques se reconnaissent dans l’outro du morceau Baba O’Riley. Présents au festival, théâtre de leur rencontre avec le public américain, ils nous régalent de leur groove des années 60, comme dans My Generation : cette génération, jeunesse rebelle, amoureuse de rock propre et affamée de justice et de liberté. Ils gagneront le droit de jouer en premier face à Jimmy Hendrix au « pile ou face », ce dernier, bon perdant, déclarant qu’il « mettra le paquet ». C’est la première scène notable de Jimi Hendrix and the Experience, de la cohabitation folle du musicien de rock psychédélique et de sa guitare, l’instrument comme prolongation de son propre corps, jouer pour lui comme une seconde nature. L’homme sera présenté par les Rolling Stones eux-mêmes, le rejoignant sur scène. Il ne manquera pas de choquer la foule, fortement sous l’emprise des drogues, en mimant une relation sexuelle sa guitare, la fracassant et y mettant finalement le feu. Il sera connu également pour réaliser de véritables prouesses lors de ce rassemblement, jouant derrière le dos et avec les dents l’indémodable solo de Hey Joe.
NO PRINT SALES OR POSTER USE WITHOUT PRIOR CONSENT. Mandatory Credit: Photo by BRUCE FLEMING/REX/Shutterstock (20121h) Jimi Hendrix 1967 VARIOUS
Dans un autre registre, Simon and Garfunkel, armés de leur guitare et de leurs harmonies, propose une savoureuse respiration. Minimalistes extraordinaires, leurs mélodies entêtantes proposent une rénovation de la musique traditionnelle et populaire anglaise, avec de légers accents celtiques d’où émerge une pop certaine. Sound of silence dépose un silence religieux sur l’assemblée revêche. Aux côtés des figures connues, Monterey révèle aussi de nombreux artistes : après The Who et Jimi Hendrix, Otis Redding s’impose également lors d’une de ses dernières apparitions en public (il mourra d’un accident d’avion quelques mois plus tard) : incarnation de la soul, de sa chaleur langoureuse, de sa lumière : « Voici donc la foule de l’amour ! » lance le premier interprète de Respect, la seconde étant la fameuse Aretha Franklin.
Les femmes ne sont d’ailleurs pas en reste : on est frappés par la toute jeune Janis Joplin (comme membre du groupe avec Big Brother and the Holding Company), son énergie électrique, ses cris de vie, la force de la Little girl blue : elle se libère de ses Ball and chain avec une chanson victorieuse, en parfaite cheffe de file du féminisme. Lionne avec crinière assortie, sa voix rauque descend dans les profondeurs et remonte tel une Phoenix, vive, écorchée, sublime.
« Je suis devenu un fervent défenseur de la cause féministe après avoir entendu Janis Joplin au Festival de Monterey »
John McCleary, auteur de The Hippie Dictionnary
Se complète ce palmarès riche avec des groupes du monde entier d’Afrique ou d’Asie, jusqu’alors inconnus, cohabitant entre autre avec les légendes du R&B américain et du rock britannique. Devant un public majoritairement blanc, s’illustre une réelle représentation de la mixité ethnique, un métissage musical vibrant totalement innovant. Une réédition du festival aura même lieu cinquante ans après, avec entre autre Norah Jones, suivant les traces de son père!
Quelque chose de majeur se découvre ici, une génération festivalière, un projet d’étés musicaux, de partage, permettant de s’éloigner du quotidien pour quelques jours : la naissance du Summer of Love. Un vrai fait de société plus que de vacances, c’est un symbole de la contre-culture : tous les artistes, à l’exception de Ravi Shankar, chanteront bénévolement, et tous les bénéfices reviendront à une œuvre de charité. Le mouvement Peace and Love est en marche à la recherche d’un monde plus juste. Si cette année nous sommes privés de ces kilomètres de terres battues où résonne la musique de part en part, pourquoi pas voler un peu de ses sensations originelles, en souvenir ou en imagination : une époque pas si lointaine, qui reviendra bientôt…