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La chasse : une tradition française intouchable ?

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La chasse : une tradition française intouchable ? Posted on 25 octobre 2021

Edit : Cet article a été écrit avant que le Conseil d’Etat décide de suspendre une nouvelle fois tous les piégeages traditionnels d’oiseaux sauvages, autorisés par le gouvernement. Cette décision fait suite au recours en urgence déposé par les associations LPO et One Voice.

Le 15 septembre, le gouvernement publie de nouveaux arrêtés permettant aux chasseurs d’utiliser des techniques de chasses jugées illégales par le Conseil d’Etat.

 « On interdit d’une part pour des raisons européennes la chasse à la glue mais on refait un cadeau aux chasseurs en amont des élections » – Confédération Nationale Défense de l’Animal

En aout dernier, le Conseil d’Etat avait jugé illégale les autorisations ministérielles permettant la capture à l’aide de filets (tenderies, pantes) ou de cages (matoles) les vanneaux huppés, les pluviers dorés, les alouettes des champs, les grives et merles noirs. Ces techniques de chasses, utilisées dans cinq départements français, étaient pour le Conseil contraire à la directive Oiseaux. Elle interdit depuis sa signature en 2009 « les techniques qui capturent des oiseaux massivement et sans distinction d’espèce ». La chasse à la glue avait été interdite pour le même motif juste avant l’été.

Cette décision avait emmené 42 000 pro-chasse selon le ministère de l’intérieur à descendre dans les rues le 18 septembre. Dans cinq villes, vêtues de leurs vestes orange, iels manifestaient pour la préservation de ces chasses en France, pour le respect de la culture et des traditions.

Photo tirée du reportage de Quotidien le 21/09

 « Pas touche à nos traditions », « Foutez-nous la paix dans nos campagnes, occupez vous de vos rats dans vos villes », « Pompili dehors », « Macron Trahison ».

Pour la Fédération Nationale des chasseurs (FNC) cette « décision [est] insupportable pour tous les chasseurs de France » et « démontre un acharnement sans précédent de la plus haute juridiction administrative française contre l’ensemble des chasses traditionnelles sans le moindre fondement sérieux. »

Le message véhiculé par ces manifestants a trouvé dans la classe politique une oreille attentive. Xavier Bertrand, candidat à la présidentielle, s’est notamment rendu à Amiens pour apporter son soutien à ces « représentants de la ruralité ». Puis le gouvernement a annoncé il y a moins de 15 jours la publication de nouveaux arrêtés autorisant ces techniques de chasses et l’abattage de 113 530 oiseaux pour la saison 2021-2022. Un acte politique très contesté par les associations, comme La ligue de Protections des Oiseaux (LPO) et One Voice, qui sont à l’origine de la demande de suspension. Ils ont d’ailleurs saisi le Conseil d’Etat en référé le jour même.

« Je ne pouvais pas imaginer une seconde que l’exécutif ferait preuve d’une pareille indécence, de mépris à l’égard du droit. On pensait que c’était gagné », déclare Allain Bougrain-Dubourg, président de la LPO au journal Libération.

Ce revirement montre une nouvelle fois l’importance et le poids des chasseurs dans la société française, surtout en temps de campagne présidentielle.

Campagne de la FNC 2018

Iels seraient 1 millions de chasseurs actifs, 5 millions si on compte toutes personnes détentrices d’un permis de chasse. Ils représentent aussi la ruralité, une population convoitée par les politiques comme on a pu le voir avec le défilé des candidats au sommet de l’élevage (5-8 octobre).

La chasse est également attractive d’un point de vue économique quand on sait qu’elle rapporte à la France 3.9 milliards d’euros par an (un chasseur dépense environ par an 2168€). Ces électeurs sont alors choyés par la politique, et notre président actuel ne fait pas l’exception.

Dès 2017, pendant sa campagne Emmanuel Macron se définit comme un « candidat des territoires » et rencontre plusieurs fois le président de la FNC, Willy Schraen. Lors de la traditionnelle Assemblée des chasseurs, il avait déclaré son attrait pour cette pratique rurale. « Je viens d’une terre que j’appelle encore Picarde, où il y a beaucoup de chasseurs. Je ne méconnais pas la chasse : c’est une activité culturelle, environnemental, économique, c’est un mode de vie, pas seulement un loisir ». Ce loisir avait amené Emmanuel Macron à promettre une réforme de la chasse comprenant par exemple la diminution du permis de chasse (de 400 à 200€), une nouvelle « gestion adaptative » des espèces chassables ainsi que le retour des chasses présidentielles. Des promesses, qu’il tiendra l’année suivante.

Pour les 40 ans du Président Emmanuel Macron

Ces cadeaux de la part du président et les discussions qui l’ont organisé ont emmené Nicolas Hulot, alors ministre de la transition écologique et solidaire, à poser sa démission. Au micro de Léa Salamé et de Nicolas Demorand, il dénonce la participation de Thierry Coste - conseiller politique de la FNC et proche des politiques de tous bords - « C’est probablement un élément qui a achevé de me convaincre (…) : on avait une réunion sur la chasse avec une réforme qui peut être importante pour les chasseurs mais surtout pour la biodiversité. Mais j’ai découvert la présence d’un lobbyiste qui n’était pas invité à cette réunion et c’est symptomatique de la présence des lobbies dans les cercles du pouvoir ».

La présence d’un lobby de la chasse a depuis été démenti par Emmanuel Macron, notamment dans son interview pour le média Brut en début d’année. Mais comme pour l’écologiste et ex-présentateur, la Confédération Nationale Défense de l’Animal avec qui j’ai pu m’entretenir par téléphone ne porte aucun doute sur la présence d’un lobby : « S’ils sont aussi protéger, cajoler, s’ils obtiennent autant aujourd’hui, c’est qu’il y a un travail des lobbys qui est réalisé depuis des années et des années ».

Méthode de la tenderie -L’ardennais

Quand on parle de la chasse, de son impact sur la biodiversité, sur l’utilité ou non d’une régulation on rencontre rapidement les notions de traditions, de culture et de coutumes. Véritable étendard des pro-chasse cette peur de perdre nos traditions françaises est brandis dès qu’une remise en cause de la chasse est proposée. Pour Gérard Aubret, président de la FNC d’Auvergne-Rhône-Alpes la chasse c’est :

« Une tradition française, un héritage de la révolution qui perdure depuis. C’est un loisir avant tout. La chasse a le mérite de mélanger tous les genres de la société. C’est la seule activité, je crois, qui peut mettre autour de la table des gens très érudits avec des gens qui le sont moins, des ouvriers avec des cadres, des médecins, des notaires… […] C’est un intérêt de la chasse, le côté social et humain. Je suis un patriote et fier de l’être. Je suis attaché aux traditions françaises, dont la chasse » - chassons.com

Mais pour la Confédération Nationale Défense de l’Animal, « Si on se cache derrière la question de tradition pour empêcher des avancées qui sont demandées d’un point de vue éthique » rien n’avancera. « La chasse à un rôle au niveau de l’environnement mais ça reste de méthodes brutales sous couvert de la tradition […] On peut avancer au 21e siècle sur la question ».

Le poids des traditions a été rappelé par le Président lors de sa visite le 4 octobre dans le refuge SPA de Gray dans le 70. Un refuge qui est d’ailleurs associé à la Confédération Nationale Défense de l’Animal. Dans sa prise de paroles, il applique de nouveau la politique du « en même temps », annonçant un nouvel effort financier de 30 millions d’euros pour les refuges tout en refusant d’opposer bien-être animal et pratique de la chasse.

« Tout le monde est attaché à la condition animale, a-t-il exposé, personne ne veut qu’il y ait des pratiques cruelles qui ne correspondent plus à la manière dont nous voyons les animaux », avant d’enchaîner sur un de ses célèbres « en même temps » : « et en même temps, nos compatriotes sont attachés à la ruralité et aux traditions, et nous ne pouvons pas leur dire du jour au lendemain ‘ce que vous avez fait, ce que vos parents et vos grand-parents faisaient, c’est devenu intolérable, circulez’.  Ça se fait dans le respect ». « Ce n’est pas en stigmatisant qu’on peut réussir à avancer » a-t-il expliqué, « On y arrive en réconciliant ». 

Alors qu’un seul français sur cinq se déclare en faveur de la chasse selon le dernier sondage Ipsos, cette politique du « en même temps » et cette présence inébranlable des chasseurs aux côtés des politiques continue de désespérer les associations. Confédération Nationale Défense de l’Animal espère quant à elle pour le gouvernement de 2022 « une vraie réflexion sur l’avenir de la chasse » ainsi que sur le « statut juridique de l’animal sauvage » pour faire « face à des enjeux écologiques essentiels ».

Sources :

  • Entretien téléphonique avec la Confédération Nationale Défense Animale
  • La Ligue pour la Protection des Oiseaux
  • France Inter
  • La Fédération Nationale des Chasseurs
  • Quotidien
  • Rapports du Conseil d’Etat

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