Quand Mona Chollet débute l’introduction de son livre “ Sorcières, la puissance invaincue des femmes”, elle évoque la sorcière l’ayant la plus marquée de son enfance : Floppy Le Redoux. Quand j’y réfléchis à mon tour, un livre de mon enfance refait surface. “Le grand livre pratique de la sorcière en 11 leçons”. Un livre aux multiples conseils afin de réaliser des plats typiques de sorcières, pour reconnaître leurs repères ou encore on peut y apercevoir une double page présentant les sorcières de tous les pays, chacune avec ces artefacts propres. Bonjour, sorcière française au nez crochu cueillant multiples champignons forestiers.
Mais comme l’exprime Mona Chollet, avant de devenir ce personnage caricaturé cher à notre imagination ou un symbole de la lutte féministe, être qualifiée de sorcière marquait la fin de votre liberté et de votre vie. L’histoire de la sorcière, nous la connaissons grâce à sa présence dans la littérature mais également par sa forte représentation iconographique, qui débute dès l’antiquité. L’origine du terme sorcier/sorcière provient du latin populaire “ sortiarius” qui désigne le “diseur de sorts”, et cette figure sera fortement exploitée dans les mythes et dans les pratiques artistiques.
Dans la mythologie grecque on note par exemple la présence du mythe de Médée, qui est décrite par Sénèque comme une femme ayant des cheveux noirs dénoués, la poitrine dénudée, parcourant les forêts en récitant diverses incantations. Experte en magie, on retrouve Médée dans la peinture antique mais son histoire sera maintes fois reprise dans la période moderne.
La figure de la sorcière perdure après l’antiquité, on la retrouve dans la culture égyptienne, mais également dans “la bible en parlant de lapidation, de nécromants ou de devins” comme l’explique Umberto Eco, auteur du livre « Histoire de la laideur ». A travers le temps, la sorcellerie devient féminine, son âme imparfaite et fragile la rendait susceptible selon la religion, de se laisser séduire par le diable et d’engendrer son enfant.
La sorcière devient alors une figure de la culture populaire et de cela en découle l’histoire tragique que l’on a souvent entendue, notamment avec les tristement célèbres procès de Salem.
En revanche, une erreur est souvent commise quand on pense à l’histoire des sorcières, et des persécutions qu’elles ont subies. La pensée populaire tend à placer la multiplication des condamnations pour sorcellerie au Moyen-Âge. Il est vrai que le Moyen-Âge accueille des condamnations et exécutions mais la grande majorité de ces procès ont été réalisés durant l’époque moderne, au XVIe et XVIIe siècle. Ces procès se sont principalement déroulés en Europe et en Nouvelle Angleterre. C’est en 1486, que Heinrich Krämer et Bâlois Jakob Sprenger fortifient le mythe de la sorcière et de la gravité de son crime. Ils publient “ Malleus Maleficarum” appelé également “Le marteau des sorcières”, le plus grand traité contre la sorcellerie, et dont l’invention de l’imprimerie a permis sa large diffusion. “Pendant ce temps de feu, dans tous les procès, les juges vont s’en servir. Ils vont poser les questions du Malleus et entendre les réponses du Malleus”.[1]
Le destin de la sorcière est à présent scellé, le bouc émissaire de la misère du monde est créé. Certains hommes sont condamnés, mais la femme reste la principale inculpée et désormais tout comportement peut être apporté comme preuve de sorcellerie. “ Il était suspect de manquer la messe trop souvent, mais il était suspect aussi de ne jamais la manquer ; suspect de se réunir régulièrement avec des amies, mais aussi de mener une vie trop solitaire ». Tout pouvait être condamnable si la personne était une femme, la recherche d’un coupable était sans équivoque, “ Des navires sont en difficulté sur la mer ? Digna Robert, en Belgique, est saisie et brûlée, exposée sur une roue (1565).”[2]
Le corps de la femme était dans sa nature la preuve de sa complicité avec le diable, il était alors établi de le mettre en épreuve, notamment avec l’épreuve du bain. Quand elle était jetée à l’eau, si l’accusée coulait c’était la preuve de son innocence, en revanche si elle flottait elle ne pouvait qu’être une sorcière et donc être exécutée. Après leurs arrestations, les accusées étaient également dénudées afin de recherche une marque du diable que ce soit à l’extérieur ou à l’intérieur.
Le “piqueur” enfonçait alors des aiguilles dans leur peau. N’importe quelles cicatrices, tâches pouvaient être condamnables, c’est une des raisons pour laquelle les femmes âgées ont été particulièrement touchées, la “laideur” d’une femme était une raison d’accusation. La délation étant également favorisée, ce contexte misogyne amène la condamnation et la mort de milliers de femmes.
Concernant son approche dans l’histoire de l’art, la sorcière est pour la première fois utilisée dans les œuvres de Pieter Bruegel l’ancien. C’est en 1565, que Jérôme Cock, un grand imprimeur et éditeur d’Anvers, commande au peintre une estampe évoquant le sujet de l’époque : la sorcellerie. Mais de peur d’être suspecté d’hérésie et de faire une apologie du mal, les deux hommes choisissent alors de traiter la sorcellerie en illustrant le texte apocryphe développant la rencontre de Saint-Jacques avec un sorcier.
La sorcellerie est présente mais la victoire du Saint laisse la morale chrétienne intacte et prédominante. En regardant l’œuvre de plus près[3], le Saint est placé au centre de l’estampe, le sorcier d’un côté et les sorcières sont mises de côté, reproduisant ainsi la place des femmes dans la société. Ces sorcières sont marquées par une apparence peu flatteuse, elles chevauchent des balais ou créatures fantastiques, elles concoctent une potion à l’aide d’un chaudron, l’une d’entre elles est même métamorphosée en chat et discute avec un démon. Ces artefacts, ne bougeront plus par la suite et deviendront une partie intégrante de l’image de la sorcière. Les artistes du 15e siècle mais aussi des siècles qui lui succèdent, s’emparent donc des problématiques entourant les sorcières, tel que le Sabbat (assemblée nocturne des sorcières) :
Ici, Hans Baldung Grien représente la femme diabolisée par l’aspect de son corps frôlant celui du monstre et par ses activités. Cinq sorcières sont ainsi représentées, elles sont nues, mettant en avant leur dangereuse sensualité perverse, sauf une, au centre de l’image, qui par la représentation de ses seins vieillissants endosse “la laideur” de la sorcière. Leurs visages se ressemblent, ils sont épris par la folie et par la froideur. Lors de ces sabbats, l’imagerie populaire défendait l’idée selon laquelle les sorcières se transformaient “ en créatures de formes attirantes, mais toujours marquées par des traits ambigus qui révélaient leur laideur intérieure”[4]. On peut également remarquer la représentation des mythes populaires avec la présence d’os humains au premier plan, rappelant ainsi la superstition qui voudrait que ces femmes, à la tombée de la nuit, deviennent cannibales.
Mais maintenant, qui sont les sorcières ?
Outre les nombreuses représentations de la sorcière notamment à travers les films d’animations, la sorcière est devenue comme je l’ai évoqué plus haut, le symbole de la lutte féministe.” Nous sommes les petites-filles des sorcières que vous n’avez pas pu brûler !”. La figure de la sorcière est revisitée par le mouvement féministe et on assiste à une relecture de ces condamnations en mettant en avant le caractère misogyne de ces attaques, un caractère maintes fois oublié ou dévalorisé dans les études spécialisées. Depuis les années 1970, la sorcière devient le symbole de la femme et de son besoin de libération de la domination masculine. Une condamnation par l’homme, qui élève la sorcière comme “victime emblématique des violences faites aux femmes - et du système patriarcal dans son ensemble”[5].
La figure de la sorcière devient aussi symbole d’une liberté sexuelle, « La sorcière, c’est la femme qui s’échappe des mains de son mari, par la cheminée, avec son balai, pour – littéralement – s’envoyer en l’air. »[6] explique Armelle Le Bras-Chopard, spécialiste du genre en politique. En art, la figure de la sorcière peut rester la même par son physique ou son attirail enchanteur mais les valeurs qui lui sont raccrochées évoluent. Des artistes et expositions tentent de sauvegarder leurs mémoires et de réaliser un travail de relecture comme l’exposition des archives nationales qui se déroule en 2017 « Présumées coupables », ou encore l’exposition “Sorcières !” de 2019 au H2M espace d’art contemporain, Bourg-en-Bresse. Cette dernière a pour vocation d’illustrer à travers ces œuvres contemporaines, ces documents et objets d’archives, la figure de la sorcière et “son double visage, victime et émancipatrice, paria et puissante, monstrueuse et enchanteresse”.
Désormais, on brandit haut et fort les reproches faits à ces femmes, symboles de la libération.
Mona Chollet, Sorcière la puissance invaincue des femmes, ed. La découverte, Zones, Paris,2018
Umberto Eco, Histoire de la laideur, ed.Flammarion, 2011.
Le Monde, Le retour en grâce de la sorcière, nouvelle figure du féminisme, 2018, url: https://www.lemonde.fr/big-browser/article/2018/11/01/le-retour-en-grace-de-la-sorciere-nouvelle-figure-du-feminisme_5377501_4832693.html
Fleury Claire, EXPOSITION. Les sorcières, fausses méchantes et vraies victimes, l’Obs, 2016, url: https://www.nouvelobs.com/culture/20160318.OBS6720/exposition-les-sorcieres-fausses-mechantes-et-vraies-victimes.html
[1] Bechtel Guy, La sorcière et l’Occident, la destruction de la sorcellerie en europe, des origines aux grands bûchers. Plon, Paris,1997
[2] Chollet Mona, Sorcières la puissance invaincue des femmes, ed. La découverte, label Zones,Paris, 2018
[3] Fleury Claire, EXPOSITION. Les sorcières, fausses méchantes et vraies victimes, l’Obs, 2016
[4] Eco Umberto, Histoire de la laideur, ed.Flammarion, 2011
[5] Le Monde, Le retour en grâce de la sorcière, nouvelle figure du féminisme, 2018
[6] Op, cit
Très bel article qui donne envie d’en savoir plus !