Posted in Culture

Marina Abramović, papesse de la performance artistique

Partager : Logo de Facebook Logo de Twitter
Marina Abramović, papesse de la performance artistique Posted on 15 février 2021

Après un passage aux Beaux-Arts de Belgrade puis de Zagreb dans les années 1970 , Marina Abramović décide de mettre son corps au centre de son travail. Au gré de ses performances, elle repousse ses limites physiques et psychologiques et questionne la relation d’un.e artiste avec son public. 

En 1973, elle présente au public napolitain sa performance Rhythm 0. Pendant six heures, Marina met à disposition son corps avec une consigne simple. 

Sur la table il y a 72 objets avec lesquels vous pouvez me faire ce que vous voulez. 

Performance.

Je suis un objet.

Je prends la responsabilité de tout ce qui se passera dans ce laps de temps.

Durée : 6h (20h -2h)

Marina Abramović, Rythm 0 (1974)

Les consignes sont claires, les mots sont bruts. Le public peut alors choisir entre les “objets de plaisir” et les “objets de destruction”. Sur la table se côtoient plume et couteau, barre de fer et parfum, fleurs et pistolet chargé. 

Les premières temps sont timides, Marina va rester plusieurs heures immobile avant que les premiers osent la toucher. Mais cette non violence envers le corps d’une femme est bref. À partir de la troisième heure, les “objets de destruction” font leur entrée. 

Marina Abramović, Rythm 0 (1974)

La suite, le critique d’art Thomas McEvilley la raconte:

Cela a commencé docilement. Quelqu’un l’a retournée. Quelqu’un a jeté ses bras en l’air. Quelqu’un l’a touchée un peu intimement. La nuit napolitaine a commencé à se réchauffer. À la troisième heure, tous ses vêtements lui ont été coupés avec des lames de rasoir. À la quatrième heure, les mêmes lames ont commencé à explorer sa peau.

Thomas McEvilley, Stages of Energy: Performance Art Ground Zero? in Abramović, Artist Body, p. 17

La violence s’intensifie jusqu’à créer deux groupes : les agresseurs et les protecteurs. Elle pénètre dans les rangs jusqu’au moment où un homme pointe le pistolet sur la tempe de l’artiste. Cet acte déclenche une bagarre entre ce public divisé. 

L’artiste, surnommée aujourd’hui la papesse de la performance artistique, considère Rythm comme l’expérience la plus extrême de sa carrière. 

Les six heures écoulées, Marina Abramović reprend le contrôle, commence à bouger son corps meurtri. L’audience panique. Elle redevient une femme, un humain à leurs yeux et soutenir son regard devient insupportable. Certains deviennent alors muets quand d’autres s’enfuient du studio. Par cette violence, elle met en exergue les dynamiques qui objectifient le corps d’une  femme et qui le tue. Pour elle, “ce travail reflète ce qu’il y a de plus horrible chez les gens”. Il “montre à quelle vitesse quelqu’un peut se décider à blesser lorsqu’il y est autorisé et cela montre à quel point il est facile de déshumaniser quelqu’un qui ne se défend pas”.

Marina Abramović, Rythm 0 (1974)

Si on l’autorise, la violence domine l’assemblée. 

L’année suivante sa rencontre avec Frank Uwe Laysiepen, connu sous son nom d’artiste Ulay, marque un tournant dans ses performances. Liés dans l’intime comme dans l’art, Marina et Ulay deviennent “un corps à deux têtes”. Cette fusion de deux “body artistes radicaux” interroge pendant près de 12 ans le couple dans toutes ses déclinaisons. 

Marina Abramović, AAA-AAA, 1978

Ils explorent ainsi à travers leurs performances l’agressivité et la tension qui peut s’immiscer entre deux corps comme dans AAA-AAA ou encore développer pendant dix-sept heures au sein de la performance Imponderabilia, la dualité et la dépendance entre deux amants. 

Marina Abramović, Imponderabilia, 1977

En 1988, leur dernière performance se dévoile au centre de la Grande Muraille de Chine. Parti chacun d’un côté opposé pour symboliser leur rupture romantique et professionnelle, les deux artistes vont parcourir 4000 km pour se rejoindre. Après trois mois de marche, le duo se retrouve avant de séparer définitivement. 

Reprenant une carrière solitaire, Marina Abramović remporte pour sa performance Balkan Baroque le Lion d’or à la Biennale de Venise en 1997. 

Pendant quatre jours et six heures, l’artiste accompagnée de 1500 os, d’un sceau en cuivre, d’eau et d’une vidéo de ses parents expose les ravages de la guerre en Yougoslavie. En chantant des chants populaires yougoslaves, elle nettoie chaque os. Sa voix cristalline se percute à l’action. La dureté du souvenir imprègne les chants et plonge la salle dans l’émotion. En remémorant l’histoire yougoslave, elle montre une histoire intime et collective où elle rend hommage aux morts et aux personnes endeuillées. 

Marina Abramović, Balkan baroque, 1997

En 2010, le MOMA de New-York  lui consacre une importante rétrospective regroupant une cinquantaine de ses œuvres. Pour l’occasion, de jeunes performeurs vont reprendre certaines de ses performances pendant qu’elle interprétera pendant trois mois, The Artist is Present. Marina Abramović, qui a toujours utilisé son corps comme médium et arme politique, réalise ici sa plus longue performance. 

Assis face à face, le public vient rencontrer l’artiste sans prononcer un mot. Les yeux dans les yeux, certains ne restent que quelques minutes quand d’autres restent des heures. Marina reste quant à elle 736 heures et 30 minutes sans se lever, manger et boire. 

La performance fait du bruit et convoque près de 750 000 visiteurs de tous âges et catégories sociales. Cette performance est fédératrice et son visage reste impassible jusqu’au moment où elle revoit un visage familier. Ulay se retrouve face à elle, plus de 20 ans après la Grande Muraille de Chine. 

Marina Abramović, The Artist is Present, 2010

Marina ferme les yeux entre chaque visiteur. Quand c’est le tour de Ulay l’émotion gagne instantanément son visage. Dans une vidéo qui deviendra virale, l’ancien duo se fait face et sous les applaudissements se serre les mains une dernière fois avant de se séparer. Un souvenir qui devient tout particulier quand on sait qu’en 2015 Ulay intente et gagne son procès contre Marina pour non paiement de droits d’auteurs sur leur travail. 

En restant assise, impassible, Marina Abramović désire montrer “l’immobilité au milieu de l’enfer” et “créer un dispositif à même de ralentir le temps et les hommes”. 

Quand ils sont en face de moi, il ne s’agit plus de moi. Très vite, je suis le miroir de leur propre égo.

Marina Abramović

En 2018, son travail est de nouveau mis en valeur au sein d’une rétrospective qui se déroule cette fois au sein du Palazzo Strozzi à Florence. Figure de la renaissance italienne, le Palazzo Strozzi accueil Marina Abramović. The Cleaner  où dans une centaine d’œuvres l’artiste détaille sa vie tumultueuse. Dans le sillage du MOMA, cette exposition est un succès comme la conférence qui l’accompagne Marina Abramović Speaks, Marina Abramović in dialogue with Arturo Galansino. Un événement noirci néanmoins en ce moment. Un homme d’une cinquantaine d’années qui n’était pas à sa première tentative frappe l’artiste à la tête. Ce peintre tchèque armé d’un tableau n’a pas ébranlé le calme de l’artiste qui par la suite ne déposera pas plainte. 

«En une seconde, j’ai vu changer son expression et la violence apparaître sur son visage alors qu’il se dirigeait vers moi à toute vitesse, brutalement»

«Le danger arrive toujours à toute allure, comme la mort elle-même».

Marina Abramović, Le Figaro

En 2020, Marina Abramović vend pour la première fois une œuvre de réalité mixte. The life, est présenté pour la première fois à Londres avant d’être mis aux enchères. Cette performance qui intègre des éléments virtuels laisse apparaître l’artiste en hologramme. Elle tente de devenir immortelle, de questionner le principe même d’existence. 

En ce début d’année 2021, le journaliste et écrivain Eric Fottorino publie Marina A. aux éditions Gallimard. A travers la découverte et la nouvelle fascination de son narrateur pour l’artiste, l’auteur retrace sa carrière et montre le lien entre ses performances et le climat actuel en temps de pandémie. Il revient sur ce rapprochement lors d’une interview pour sa maison d’édition :

Un écho, une résonance que sur le coup j’ai éprouvé vivement en moi sans la comprendre. C’était très mystérieux. Un art sans parole qui me parlait mais dont j’étais incapable de traduire le langage fondé sur le corps, le choc des corps, la mutilation parfois, et finalement le dialogue des êtres à distance.

Eric Fottorino, Gallimard

Marina Abramović, Rythm 0 (1974)

Pour aller plus loin : 

Livre :

Marina Abramović, Walk Through Walls: A Memoir, ed.Penguin Books, 2017

Marina Abramović, Marina Abramovic: Writings 1960-2014, ed. Allison Brainard, 2018

Documentaire :

Matthew Akers, Marina Abramović: The Artist is Present, 2012

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *