L’héroïsme féminin, qu’est-ce que c’est ?
L’héroïsme, c’est un idéal du héros ou de l’héroïne, un comportement exemplaire souvent caractérisé par le courage face au danger, la force d’esprit et physique, un dévouement absolu à une cause à laquelle on croit et pour laquelle on lutte. Être héroïque, c’est faire preuve de bravoure, de grandeur d’âme. On a tous ou l’on connaît tous des héros, que ce soient ceux de notre culture comme les héros de la mythologie, ceux de nos séries et films préférés, ou encore ceux de notre quotidien. Mais dans l’imaginaire collectif, quand on parle d’héroïsme, et si l’on regarde dans la mythologie par exemple, on a bien plus souvent affaire à des héros qu’à des héroïnes, et il en va de même dans les mangas (même si la notion d’héroïsme est à l’origine neutre et universelle). Ainsi, comme on distingue un héros d’une héroïne, on peut faire une distinction entre l’héroïsme masculin et féminin.
Mais pourquoi le genrer et distinguer l’héroïsme masculin du féminin dans les mangas ?
Eh bien parce que, si vous vous y connaissez en manga, ou si vous avez lu l’article portant sur la place des femmes dans les mangas, vous devez savoir que l’on y accorde très rarement l’héroïsme au féminin. Pourquoi ? D’abord, parce que les mangas classifient leur lectorat de manière démographique et font ainsi une distinction entre des lectorats masculin et féminin. Ensuite, parce que dans les mangas d’aventures où l’on retrouve le plus souvent des héros, les shōnen et les seinen, ce sont majoritairement des protagonistes masculins, et donc, des héros au masculin. En outre, dans les mangas où les femmes sont les plus présentes, les shōjo et les josei, on ne peut pas vraiment parler d’héroïsme puisque les shōjo les plus en vogue par exemple tournent surtout autour du genre de l’amour et de la tranche de vie (même si l’on peut trouver des exceptions comme Sailor Moon et d’autres shōjos fantasy). De plus, lorsqu’il s’agit de mangas à destination d’un public féminin comme les shōjo, les héroïnes sont souvent des jeunes filles représentées comme froussardes, étourdies, maladroites, émotives, etc. Des compétences bien loin des stéréotypes et clichés du héros.
Distinguer donc, ce n’est pas exclure les hommes ou les représentations masculines dans les mangas, au contraire. Parler d’« héroïsme féminin », cela permet simplement de revaloriser les femmes, de les mettre sur un même pied d’égalité avec les hommes pour éviter toute injustice et inculquer aux jeunes filles, comme aux jeunes garçons, que tout le monde peut devenir protagoniste d’une histoire d’aventure et se battre pour ses rêves, qu’importe le genre.
Pourquoi parler d’« héroïsme féminin », et en quoi mettre en avant l’héroïsme au féminin peut changer les choses ?
Genrer l’héroïsme dans les mangas, c’est avant tout pour permettre au lectorat féminin de trouver sa place, de se reconnaître dans les mangas, ce qui est primordial pour se construire dès l’enfance. Sans représentation d’héroïnes au premier plan, on contribue ainsi à faire croire aux jeunes filles qu’elles sont plus faibles que les hommes, moins importantes, que ce sont des seconds rôles, même dans la vraie vie.
À cela s’ajoute le fait que, bien souvent, dans les mangas ciblant un public masculin comme les shōnen ou les seinen, on laisse très peu de place aux femmes. De fait, comme à l’origine, ces genres sont considérés comme masculin et destinés à un public masculin, les femmes y sont bien souvent stéréotypées, sexualisées, effacées. Bref, elles y ont bien souvent très peu d’importance comparées aux personnages masculins.
Ainsi, ce manque de représentations dans les mangas d’aventures renforce les stéréotypes déjà bien ancrés dans nos sociétés selon lesquels les filles devraient s’intéresser aux histoires d’amour tandis que les garçons devraient se tourner vers les histoires d’aventures et de bagarre.
Mettre en avant des héroïnes dans des histoires d’aventures permettraient donc de casser les codes, de faire comprendre que ce genre de thème ne se genre pas qu’au masculin mais qu’il s’agit bien de quelque chose d’universel qui ne devrait pas être genré du tout. Il en va d’ailleurs de même pour les shōjo ainsi que les histoires d’amour qui sont encore très associés aux femmes. Il faut donc renverser la tendance, bouleverser les codes, pour sortir de ces clichés et de cette « classification des genres » qui est toxique pour tout le monde.
Ainsi, quoi de mieux qu’une présentation non-exhaustive de quelques chefs-d’œuvre du manga au féminin qui révolutionnent le manga d’aventure masculin en servant de contre-exemples et en prouvant que les femmes aussi peuvent être des héroïnes qui se battent sans vergogne et ne craignent pas de partir à l’aventure.
Arte, Kei Ohkubo, éditions Komikku, 2015 (seinen, tranche de vie, historique) :
L’histoire se passe à Florence, au début du 16ème siècle. Arte, une jeune aristocrate un peu fantasque, rêve de devenir artiste peintre. Si sa passion était encouragée par son père, elle était très mal vue par sa mère qui, à la mort de ce dernier, ordonne à Arte d’abandonner le dessin pour pouvoir se marier. Après avoir vu ses dessins brûler sous ses yeux, la jeune fille décide de prendre sa vie en main et se lance à la recherche d’une place d’apprenti dans un atelier de sa ville. Seulement, à cette époque, il était très mal vu d’être une femme artiste. Ainsi, Arte va devoir se démener pour se faire une place dans le monde de l’art de la Renaissance. La jeune fille arrivera-t-elle à s’affirmer dans ce milieu phallocrate ?
Outre le fait que l’intrigue soit assez originale, le manga Arte est une bouffée d’air frais mêlant féminisme et art et l’on y apprécie fortement la qualité des dessins ainsi que la minutie de la mangaka qui soigne chaque détail pour rendre l’histoire la plus authentique possible.
Reine d’Egypte, Chie Inudo, éditions Ki-oon, 2017 (seinen, tranche de vie, historique) :
Si vous voulez lire un manga avec une héroïne badass qui n’a peur de rien et prend son destin en main, alors Reine d’Egypte est fait pour vous. Cette série en neufs tomes retrace l’histoire de la princesse Hatchepsout. Fille du pharaon Thoutmosis I, si elle veut accéder au trône, elle doit se marier à son demi-frère Séthi, qui deviendra donc le pharaon. Or, Hatchepsout ne veut pas être une simple reine, mais devenir pharaon et elle ne comprend pourquoi elle n’aurait pas le droit au même titre que son frère d’accéder au rang suprême, sous prétexte qu’elle est une femme. Commence ainsi l’ascension de Hatchepsout vers le trône. Seulement, son chemin sera semé d’embûches, et entre de trahisons et de conspirations, elle devra se méfier de tous, et même des personnes en qui elle a le plus confiance…
L’intrigue, très fidèle à l’Histoire, nous plonge directement dans l’histoire l’Egypte ancienne et dans la vie passionnante de Hatchepsout, dont on se souviendra d’ailleurs comme de « la première grande femme dont l’histoire ait gardé le nom » d’après l’historien James Henry Breasted. On y retrouve aussi des personnages complexes et des dessins de qualité. Bref, un vrai chef-d’œuvre de la part de Chie Inudoh qui met en avant une héroïne forte et indépendante.
Isabella Bird, femme exploratrice, Taiga Sassa, éditions Ki-oon, 2017 (seinen, aventure, historique) :
Inspirée de la vie d’Isabella Lucy Bird, exploratrice et écrivaine britannique du 19ème siècle, ce manga revisite les aventures de cette dernière lors de son voyage en Asie à partir de 1878. On y découvre une jeune femme ambitieuse, prête à tout pour assouvir sa soif de connaissance, et déjà bien connue dans le monde pour ces expéditions et ces écrits de voyage. Le Japon, pays qui s’ouvre tout juste au monde à cette époque, mais qui reste aussi assez méconnu des Européens, est donc une destination de rêve pour la jeune exploratrice qui n’a pas froid aux yeux. Elle décide donc de partir à la découverte du territoire des Aïnous sur l’île d’Ezo. Cependant, il s’agit d’une terre quasi-inexplorée et le périple pour y arriver s’avère long et rude.
Ainsi, Isabelle Bird nous fait découvrir à travers les yeux de l’exploratrice le Japon de la fin du 19ème siècle. Un soin tout particulier est accordé aux décors, aux détails vestimentaires ainsi qu’aux coutumes, nous entraînant dans un réel voyage dans le temps à l’époque de l’ère Meiji. À consommer donc sans modération !
Les Carnets de l’Apothicaire, Itsuki Nanao et Nekokurage, éditions Ki-oon, 2021 (seinen, historique, suspens) :
Adaptée des romans éponymes de Natsu Hyuuga, cette série nous plonge dans la vie de Mao Mao, âgée de 17 ans. Ayant un père apothicaire, la jeune fille a été formée dès son plus jeune âge à la science et à la fabrication de remèdes et de poisons dans le quartier des plaisirs. Un jour, en allant cueillir des plantes médicinales dans la forêt, elle est enlevée et vendue comme servante à la cour intérieure du palais impérial. Pour survivre, la jeune apothicaire tente d’abord de se faire discrète et se grime pour ne pas qu’on la remarque. Seulement, lorsque les trois héritiers nouveau-nés meurent, bouleversant tout le palais impérial, Mao Mao, animée d’une curiosité et d’une soif de savoir insatiables, ne pourra s’empêcher de mener son enquête.
À travers les machinations du palais, on suit ainsi les aventures de Mao Mao qui sera poussée malgré elle à résoudre toutes sortes de mystères. Mais attention, au sein de la cour, le moindre faux pas peut être fatal !
L’Eden des Sorcières, Yumeji, éditions Ki-oon, 2021 (seinen/shōnen, aventure, fantastique) :
Si vous êtes fan de Miyazaki et plus particulièrement de Princesse Mononoké, vous serez conquis par ce nouveau manga mêlant sorcellerie et nature.
Jadis, faune et flore vivaient en harmonie. Mais l’arrivée de l’homme, avide de pouvoir et de domination, bouleversa cet ordre. Le monde devint alors une vaste étendue aride et désolée. Toutefois, quelques lieux secrets échappèrent à cette malédiction. Il s’agissait des repaires des sorcières, des femmes dont le pouvoir leur permettait de communiquer avec les plantes. Accusées par les humains d’être responsables de leur disparition, celles-ci furent chassées, n’ayant d’autres choix que de se cacher.
C’est dans ce contexte que l’on fait la connaissance de Pilly, une jeune apprentie sorcière qui tente tant bien que mal d’éveiller ses pouvoirs, aidée par la vieille et puissante Toura. Elles vivent toutes les deux paisiblement au sein de l’un des repaires de sorcières, jusqu’au jour où Pilly, forcée de sortir du repaire, permet à des hommes de s’y introduire et de tout saccager. La jeune sorcière n’a d’autres choix que de partir et se mettre en quête de l’Eden, un lieu sacré dans lequel les sorcières sont en sécurité. Accompagnée d’un familier mi-loup mi-végétal, Pilly devra faire face à de nombreux obstacles pour devenir maîtresse de son destin et tenter de survivre.
L’Eden des Sorcières, mêlant poésie et fantastique, et empreint d’une certaine violence, nous met face, comme Princesse Mononoké, à la réalité du conflit entre les humains et la nature. À travers des dessins d’une grande qualité et un univers magique, l’histoire de Pilly ne vous laissera certainement pas sur votre faim !
Ainsi, ces cinq mangas nous immergent dans des histoires passionnantes aux décors variés et dans lesquelles on part à la rencontre d’héroïnes intrigantes qui n’ont pas froid aux yeux et démontrent que les mangas d’aventure ne sont pas réservés qu’aux héros masculins. Oui, les femmes peuvent se battre. Oui, les femmes n’ont pas besoin des hommes pour prendre en main leur destin. Et oui, l’héroïsme féminin existe bel et bien dans les mangas.
Article très intéressant qui montre bien le besoin de représentation chez les jeunes filles par des personnages qui sortent du cadre stéréotypé dicté par la société: les femmes doivent apprendre qu’elles sont fortes, courageuses et indépendantes !! Les recommandations donnent envie de lire ces mangas et les dates de publication plutôt récentes montrent que l’héroïsme féminin se démocratise de plus en plus et ça fait plaisir à voir !
Merci beaucoup pour ton retour !