« Toi aussi mon fils » Suétone, Vie de César, LXXXII, 3.
Les ides de mars sont restées dans l’histoire comme le plus haut acte de parricide et de trahison: l’assassinat à l’arme blanche de Jules César par son « fils adoptif », Brutus !
De son vrai nom, Marcus Iunius Brutus, dit Brutus est né en 85 avant J-C. Il est le fils de Servilla, sœur de Caton d’Utique et maitresse de Jules César, et d’un Brutus, partisan de Marius, assassiné par les troupes de Pompée. Marcus Brutus est proche de son oncle, Caton, il participe d’ailleurs à ses cotés avec les troupes pompéiennes à la bataille de Pharsale (48 avant J-C) qui oppose Pompée à César. Les sources divergent, sur la possible filiation entre César et Brutus, toujours est-il, une réelle proximité existait entre les deux hommes.
Plutarque lui dédie une vie, dans Vies des hommes illustres. Il aurait été orphelin de père, élevé par son oncle et passionné d’études philosophiques. L’auteur grec le présente comme un individu brave et réfléchi, un idéaliste qui n’hésite pas à rejoindre Pompée- pourtant le meurtrier présumé de son père- car ce dernier représente un rempart contre la tyrannie de César. Les actions de Brutus sont, ainsi, conduites par la morale républicaine héritée de Caton. Malgré son parti pris pour Pompée, il obtient l’amnistie en 48 avant J-C, accordée par César qui prône la Clémence, afin de disposer d’un personnel politique acceptable. C’est pourquoi, il obtient le commandant de la Gaule Cisalpine en 46 av. J-C et atteint une des magistratures les plus prestigieuses : la prêtrise urbaine en 44 av. J-C.
L’agonie de la République romaine est déjà bien amorcée quand Caius Julius Caesar parvient au poste de grand pontife en 73 av. J-C, fonction pourtant accordée, à Rome, en fin de carrière politique. Ce dernier qui a à cœur de s’inscrire dans l’héritage populares de Marius, parvient par ses qualités de stratèges, ses victoires militaires et ses réseaux de clients à se hisser dans les plus hautes fonctions de l’Etat romain. D’abord allié à Pompée et à Crassus dans un triumvirat en 59 av. J-C et renouvelé en 55 av. J-C, il devient leur adversaire lorsqu’une vraie guerre civile éclate entre Pompée et lui. Après avoir franchi le Rubicon en 49 av. J-C, César met la main sur Rome. Une lutte dans les quatre coins de l’empire (s.e territorial) s’engage, jusqu’à la bataille de Pharsale (48 av. J-C)
Par la suite, une série de pouvoirs exceptionnels est accordée à César, jusqu’à obtenir la dictature[1] à vie en février 44 av. J-C et l’inviolabilité tribunicienne, bien que patricien. Cette énumération des pouvoirs étonne ses contemporains, adversaires comme partisans. Mais César se montre attentif à s’assurer le soutien du peuple et du Sénat par ses largesses et ses triomphes, il fabrique un Sénat dont il augmenta l’effectif, tout comme pour les magistratures. Il entreprend également de grands chantiers urbains en construisant un nouveau forum, et un temple en son honneur. Pourtant c’est au pied de la statue de son ennemi, Pompée qu’il fut assassiné.
En effet, même si les
incertitudes entourent les intentions et les ambitions de César, il a
clairement témoigné par ses actions, un désir de dominer le jeu et la vie
politique romaine. Se faisant descendant « charnel » de Vénus,
protectrice de Rome, il lie son destin à celui de la cité éternelle. Ensuite, des
rumeurs courent à Rome, au sujet d’une possible ascension au titre de rex[2]
par César. Surtout qu’au lendemain de
la proclamation de la dictature à vie, lors des fêtes des Lupercales sur les
Rostres du Forum, Marc-Antoine, allié politique de César, tente de poser à
plusieurs reprises sur la tête du dictateur, un diadème, mais face à la
réaction peu favorable de la plèbe, César le refuse. Les Romains n’ont qu’une hantise, un retour de
la royauté à Rome, abolie depuis 509 av. J-C. De plus, une prophétie circule et
alimente les rumeurs, en effet, il est raconté que seul un roi peut vaincre les
Parthes, or au début 44 av. J-C, Jules César prépare son départ pour l’Orient,
dans le but de mener une campagne militaire-digne du macédonien Alexandre le
Grand- contre les Parthes. Dion Cassius souligne l’importance de l’oracle dans
le passage à l’acte des conjurés[3].
Dans un climat de crainte
pour la République, les sénateurs décident de comploter contre le dictateur.
Les sources ne s’accordent pas sur le nombre de sénateurs impliqués. Mais
Suétone[4]
en compte soixante, toutefois, la majorité du Sénat soutient la conjuration.
Non désireux de déboucher sur une lutte de clan, et pour que le tyrannicide
soit exemplaire, les conjurés décident de tuer un seul homme. César fut frappé de vingt-trois coups de couteaux[5].
La description par Suétone de l’assassinat de César donne l’impression d’une confusion
générale, on comprend que les conjurés ne veulent pas indiquer qui a porté le
coup fatale à César, ils font, ainsi, masse. Toutefois, il a été prêté au
dictateur, cette citation apocryphe lancée en grec à Brutus : « tu
quoque mi fili ». Il est vrai que, craignant comme le reste des partisans
du complot l’instauration d’un régime monarchique et mais aussi par ambitions
politiques, puisque la dictature perpétuelle bloque toute ascension, Brutus
fait parti des sénateurs conjurés.
Après l’assassinat Brutus, s’empressa de rassurer le peuple leur expliquant qu’il leur redonnait leur libertas. D’ailleurs, dans sa pièce Jules César, Shakespeare prêta comme réplique à Brutus : « Préférez-vous César vivant, et mourir esclaves, ou César mort, et tous vivre libres ? César m’aimait, je le pleure. Il connut le succès, je m’en réjouis. Il fut vaillant, je l’honore. Mais il fut ambitieux et je l’ai tué. Pour son amitié, des larmes. Pour sa fortune, un souvenir joyeux. Pour sa valeur, du respect. Et pour son ambition, la mort. Qui parmi vous est assez vil pour accepter d’être esclave ? Si un tel homme existe, qu’il parle. Car lui, je l’ai offensé. Qui est assez grossier pour ne pas désirer d’être un Romain ? Si un tel homme existe, qu’il parle. Car lui, je l’ai offensé » (Acte III, Scène 2).
Enfin, le destin de Brutus, entre en écho avec la trajectoire d’un autre Brutus, qui en 509 av J-C, a contribué à la fondation de la République par l’expulsion de la dynastie étrusque, les Tarquin. En 509 avant J-C, un des fils de Tarquin, Sextus viola Lucrèce, une jeune femme qui finit par se suicider. Brutus, ameuta alors le peuple en révélant le scandale, ce qui entraina l’abolition de la royauté à Rome. Une descendance est prêté entre ses deux Brutus, mais surement fictive[6] pour légitimer à posteriori la conjuration.
Par la suite, Brutus et le camp césaricide se trouvent entrainés dans une lutte intestine pour l’ascension au pouvoir. Brutus et les principaux instigateurs parviennent à gagner Athènes, où ils sont accueillis comme des libérateurs. Tandis que leurs partisans sont frappés par les proscriptions instituées par le triumvirat de Marc-Antoine, Lépide et Octave qui a pour but de venger la mort de César. Rome devient un enfer, et tous les moyens sont bons pour quitter la ville et rejoindre Brutus en Orient. Marc-Antoine et Octave décident de vaincre les Césaricides, pendant que Lépide reste à Rome. L’ultime bataille de Brutus a lieu à Philippes en Macédoine en 42 avant J-C, c’est Antoine, qui sort victorieux de ce combat car Octave est malade. Brutus finit par se suicider le 23 octobre 42 avant J-C. C’est cette date qui est considérée par certains historiens comme la fin de la République, car à Philippes, meurt l’opposition principale républicaine.
La figure de Brutus, comme
fervent défenseur des idéaux républicains est souvent occultée par son geste
envers son « père » politique. Ce qui témoigne de l’importance de la déconstruction
du récit historique et la restitution de l’image des perdants de l’Histoire.
[1] Initialement une dictature est une magistrature exceptionnelle prévue pour 6 mois.
[2] Rex (lat.) : roi.
[3] Dion Cassius, Histoire romaine, XLIV, 15.
[4] Suétone, Suétone, Vie de César, LXXXII, 3.
[5] Idem
[6] Dion Cassius, Histoire romaine, XLIV, 12.
Bibliographie.
Sources
Dion Cassius. Histoire romaine, XLIV, 12-15 traduit du grec par E. Gros http://remacle.org/bloodwolf/historiens/Dion/livre44.htm
Shakespeare W. Jules César traduit de l’anglais par François-Victor Hugo, Paris, Pagnerre, 1872.
Suétone. Vie de César, LXXXII, 3 traduit latin par M. Nisard, Paris, 1855, avec quelques adaptations de J-M. Hannick et de J. Poucert, Louvain, 2001-2006. http://bcs.fltr.ucl.ac.be/SUET/CAES/82.htm
Ouvrages
Christol. M, Nony.D. Rome et son empire. Paris, Hachette, 2014.
Deniaux E. Rome de la cité-Etat à l’Empire, institutions et vie politique. Paris, Hachette, 2014
Perrin Y, Bauzou T. De la Cité à l’Empire : Histoire de Rome. Paris, Universites, 2004.
« Ce qui témoigne de l’importance de la déconstruction du récit historique et la restitution de l’image des perdants de l’Histoire. »
J’ai lu récemment « Vérité et Politique » d’Hannah Arendt, la comparaison est intéressante ! Je ne parlerais pas de réécriture, mais d’occultation, ou de l’image de Brutus (à différencier de son portrait). L’histoire n’a pas été réécrite puisque la vérité est encore connue de certains et accessible à tous (par la littérature).
Super lecture en tout cas, merci ! 🙂