Posted in Culture

Le sample : un choix artistique ?

Partager : Logo de Facebook Logo de Twitter
Le sample : un choix artistique ? Posted on 24 janvier 2021

« Le ciel sait que l’on saigne sous nos cagoules » énonçait-il en 2006, sa voix vierge d’envolées autotunées, étreinte par les notes de la balade préférée des Français, celle du bonbon disparu qui semblait rajeunir sous les beats réguliers. Lorsqu’il sort « Pitbull », Booba emprunte au piano qui accompagnait jusqu’alors Renaud dans sa chanson « Mistral gagnant », cette mélodie susceptible d’éveiller chez chacun un sentiment hasardeux de nostalgie. Si sa reprise a surtout suscité l’étonnement au sein d’une communauté de fans, elle a aussi réouvert le débat échevelé sur les conditions sine qua non de la création.  Dans quelles mesures une oeuvre doit-elle émaner de son auteur ? Est-ce voler que de créer en se servant (en partie) du travail d’un autre ?  Une interrogation qui instille le doute, voire l’instinct justicier des plus fervents défenseurs d’une invention « pure », alors même que nos oreilles s’accoutument chaque jour un peu plus à écouter ces oeuvres résultant d’associations parfois curieuses. Ce phénomène – que l’on doit finalement peu à B2O, bien qu’il fut parvenu à incorporer l’instrumentale de « Mistral gagnant », par trois fois, dans ses chansons : « Le Bitume avec une plume » (2002), Pitbull (2006) et encore récemment « Petite fille » (2018) : un grand fan – met en lumière le caractère symptomatique de la pratique du sample dans notre modernité musicale. 

Le sample ? 

Avant d’aller plus loin, qu’est-ce-que le sample ? Selon le Larousse, qui lui préfère la dénomination française et indigeste “d’échantillonnage”, c’est une technique qui consiste à composer en mettant « bout à bout des extraits d’enregistrements préexistants. » Plus généralement, dans le processus de création d’une composition, sampler équivaut à utiliser et/ou retravailler un extrait musical provenant d’une autre oeuvre : l’extrait peut être une boucle musicale complète, un simple son, un rythme, une piste de chant, voire même un dialogue tiré d’un film, etc. 

A première vue, l’idée peut sembler surprenante, mais depuis une quarantaine d’années, pléthore de samples ont vu le jour. Cela est démontré par la création de différentes plateformes en ligne, telles que WhoSampled ; une base de données qui répertorie les musiques « samplées » et les artistes / morceaux qui en font usage. Aujourd’hui, celle-ci recense plus de  721 000 chansons et 234 000 artistes, de hip-hop, de rap, rock, pop, soul, funk, reggae, jazz, classique… Un tel site web illustre bien l’envergure de ce phénomène difficilement quantifiable –  il est aussi une mine d’or pour les artistes/n’importe quelle personne curieuse. 

https://www.whosampled.com

Brève recontextualisation

Le sample apparaît au XXe siècle et formalise un procédé déjà existant, celui qui repose sur le fait de trouver son inspiration dans les œuvres passées. Cependant, c’est grâce au développement technique que le procédé d’échantillonnage s’invente réellement comme une pratique à part entière et ce, dès les années 50 lorsque Harry Chamberlain crée le premier clavier électromécanique, précurseur du Mellotron. Se développe ainsi la possibilité de jouer des boucles musicales pré-enregistrées sur des bandes magnétiques, avant de pouvoir le faire sur des disques vinyles (1970-1980) et enfin numériquement (1980 à nos jours). Divers articles se sont appliqués à faire un historique du sample et comme ce n’est pas l’objet de celui-ci, les liens ci-dessous en sont quelques exemples. 

Toujours est-il que le boom numérique, qui fait aussi éclore la musique électronique, participe grandement à l’accessibilité du sample : aujourd’hui, tout le monde peut s’y adonner. 

Quels enjeux ?

Toute personne munie d’un ordinateur étant en capacité de sampler, les artistes s’en sont donné à cœur joie. Comme cela, Dr. Dre et Eminem, dans leur titre phare de 2001 “What’s the Difference”, se retrouvent à sampler Charles Aznavour, diffusant ainsi l’air de “Parce que tu crois” à l’international. Incongru ? Mais en même temps, ne se trouve-t-elle pas ici, la nouvelle forme d’art ? Cette manière de créer, en acceptant d’être un carrefour d’influences. Si Jay-Z, qui comptabilise à lui seul 2346 samples, décide de sampler Véronique Sanson – dans “History” – et qu’Orelsan se risque à faire de même avec Johann Pachelbel – dans “La petite marchande de porte-clefs » – n’est-ce pas l’évident témoignage d’une musique issue de mille origines ? Au fond, la culture n’est-elle pas faite pour être partagée, plutôt que consommée ?

On pourrait y croire, seulement, lorsqu’il est question d’échantillonnage, les avis sont loin d’être unanimes. En effet, dans l’inconscient collectif, le sample frôle de trop près d’autres notions que l’on range dans une boite noire : plagiat, contrefaçon, vol, copie, voire absence de création. Et ce n’est pas par hasard si l’imitation, autrefois louée, est zieutée avec suspicion par nos contemporains, cela est dû aux circonstances dans lesquelles nous évoluons depuis près d’un siècle. Celles qui ont consacré le concept d’individu. De là est apparue l’idée – pas si évidente à l’origine – de propriété intellectuelle, qui attribue à l’auteur un droit sur son œuvre, parce que dans une société où il faut vendre pour vivre, il est inacceptable qu’un autre s’octroie ce qui revient de droit au créateur. En a notamment démontré en 2008, le scandale qui mêlait le guitariste Joe Satriani au géant Coldplay, accusé de plagiat pour son tube “Viva la Vida” – succès emblématique. Le problème éthique était alors flagrant ; Coldplay a volé une mélodie composée par Satriani pour la balancer dans l’espace public, tout en se faisant passer pour l’auteur. Plus que la copie, c’est l’idée de mensonge combinée à celle de la reconnaissance – dénaturée – qui révolte. 

Concernant cette affaire, elle s’est soldée – car tout s’achète – par un accord financier qui a coûté cher au groupe britannique. De façon plutôt claire, elle met en lumière ce que l’on considère comme une “dérive” dans la pratique du sample. Dérive qui peut parfaitement avoir lieu en sens inverse, celui où un artiste qui tente de se faire un nom, emprunte un air connu pour s’en servir de tremplin. 

Alors, pourquoi défendre le droit de sampler ? 

Un nombre considérable d’artistes samplent, c’est empiriquement observable. Ainsi et sans grande témérité, on comprend assez bien qu’essayer de stopper un tel processus est absurde, car la machine est lancée. À l’image d’Internet, exercer un contrôle accru ne ferait que rendre les pratiques du sample plus ingénieuses dans l’organisation de leur survie. 

Il n’empêche que la situation actuelle met en exergue des injustices, celles engendrées par l’absence d’aménagements juridiques. En effet, lorsque la pratique interdite s’effectue, en France et surtout dans le système anglo-saxon, c’est par le biais de contrats, à titre onéreux. Sans exagérer, on peut s’accorder sur l’existence d’un véritable marché qui entretient la commercialisation des samples et qui offre ainsi une liberté de création à ceux qui peuvent se l’offrir. Ici, pas de place pour l’exception culturelle. En avril 2018, le rappeur Akhenaton déclare dans une interview que “C’est devenu compliqué de sampler”, en particulier parce que les plus petits artistes doivent user de mille et unes stratégies pour dissimuler des échantillons de musiques à l’intérieur de leurs œuvres. Pour ce faire et brouiller les pistes, certains ont déjà samplé une cinquantaine de musiques différentes dans une seule et même composition…

Outre ce désagrément non-négligeable, le procédé d’échantillonnage ne doit pas être toléré seulement parce qu’il ne peut pas être étouffé. En effet, les œuvres composites (les samples) font l’objet d’un choix artistique, qui prouve le dynamisme, en l’occurrence du monde de la musique, où l’on ne regarde pas statiquement l’œuvre d’autrui, mais où l’on participe. Composer à travers de multiples va-et-vient dans un paysage musical varié ne signifie pas que notre œuvre est une synthèse systématique des musiques écoutées. Parce que 1 + 1 ne fait pas deux, mais au moins 3. Parce qu’une idée combinée à une autre en crée nécessairement une nouvelle, celle du créateur qui ajoute une quantité de détails intimes dans sa composition. 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *