Previous Article Next Article Comprendre par le voyage : l’expédition vers la Mongolie du frère Jean du Plancarpin au XIIIe siècle.
Posted in Culture

Comprendre par le voyage : l’expédition vers la Mongolie du frère Jean du Plancarpin au XIIIe siècle.

Partager : Logo de Facebook Logo de Twitter
Comprendre par le voyage : l’expédition vers la Mongolie du frère Jean du Plancarpin au XIIIe siècle. Posted on 14 novembre 2020

Le XIIIe siècle peut être considéré comme un temps particulier pour l’Occident médiéval, c’est une période de mutation, parfois profonde, qui touche l’ensemble de ces sociétés. Non pas que les siècles précédents soient dénués de ces évolutions cependant, ce XIIIe siècle est également un moment où se constitue une rencontre avec un nouvel État, celui de l’Empire mongol. Cette découverte entraîne alors l’appréhension de nouveaux espaces de l’Asie lointaine, bien au-delà des Indes connus dans les récits antiques. Suite à ces interactions avec les populations Turco-mongoles, et les peuples gravitant dans l’Empire, les occidentaux ont été profondément touchés dans leur représentation de l’espace divin, le monde de Dieu se révélait être bien plus vaste que ce qu’il était pensé. Il fallait donc découvrir, apprendre et comprendre sur ces nouveaux peuples et lieux, au nom de la Foi chrétienne mais également pour des considérations politiques et militaires. Ce furent ces raisons qui poussèrent Jean du Plancarpin à partir pour ces régions inconnues, et à écrire sur son voyage, offrant ainsi un texte où la sensibilité de l’individu est confrontée au nouveau. C’est ce texte, qui nous est parvenu jusqu’à aujourd’hui, que je souhaite mettre ici en avant en retraçant certains aspects de cette expédition pour essayer d’en saisir la profondeur.

NUSHIRVAN REÇOIT UN ENVOYÉ DE L’EMPEREUR BYZANTIN. dans Abu’l Qasim Firdausi, Le Grand ilkhanide Shahnama, Le livre des Rois, Iran ou Irak, vers 1300-1330. Metropolitan Museum of Art, New York, (34.24.3, détail)

Pour la Chrétienté occidentale, la découverte des nomades eurasiatiques est un moment particulièrement déroutant. Les premières interactions avec l’Empire mongol se sont réalisées pendant la campagne militaire des nomades, dans l’Europe orientale actuelle. Ces combats qui prirent place entre 1236 et 1241, débouchèrent sur la défaite des armées chrétiennes. L’incompréhension face à ces attaques violentes provoqua alors une assimilation des nomades à des démons. Le terme de Tartarorum, les Tartares, est choisis pour faire référence au fleuve des Enfers de la mythologie antique et ainsi les inscrire dans une dimension apocalyptique.

Pourtant pour l’Empire mongol, les campagnes à l’Ouest de ses frontières relevaient de logiques et réalités clairement définies. Il fallait en effet soumettre au pouvoir impérial les sociétés situées dans les actuelles Ukraine et Russie, comme les principautés russes, la confédération des Comans-Qiptchaks ou encore celle des Bulgares de la Volga. Après les premières années de campagne victorieuse, au nord de la Mer Noire, les armées mongoles continuèrent leur route cette fois-ci en direction de l’Occident, notamment vers le puissant royaume de Hongrie. Durant la seule année 1241 les armées germano-polonaises, accompagnées de chevaliers teutoniques, furent défaites et plusieurs grandes villes du royaume comme sa capitale, Bude, furent conquises. Puis, presque aussi soudainement que pour leur arrivée, les nomades repartirent en direction de la Volga, sans doute pour se réorganiser et se préparer à de nouvelles campagnes. L’entrée en scène des Mongols dans le monde occidental fut fracassante, provoquant un émoi profond et un sentiment de peur partagé par l’ensemble des sociétés chrétiennes.

LES CAVALIERS NOMADES AFFRONTANT LES CHEVALIERS HONGROIS. dans Hayton, Fleur des histoires de la terre d’Orient. 1301-1400, BNF, Bibliothèque de l’Arsenal, Paris, Ms-4654, fol. 19r.

L’inquiétude au sein de l’Occident peut se ressentir avec le concile de Lyon en 1245, où pour la première fois, une assemblée de l’Église évoquait le sujet des Tartares. Le pape Innocent IV décida alors de mandater plusieurs personnes pour les rencontrer et découvrir leurs motivations. Jean du Plancarpin fut de ces choisis pour voyager vers l’Est et, contrairement aux autres, il accepta les invitations des chefs nomades locaux à poursuivre son voyage en direction du Qaghan, le titre désignant l’empereur mongol, et de son lieu de résidence Karakorum, en Mongolie.

Il décida alors de partir, munis des lettres papales, et choisit les routes terrestres de l’Europe orientale actuelle, accompagné de plusieurs frères de son ordre, les franciscains. Son objectif premier était d’essayer de rejoindre les terres des Mongols, dans les environs de la Volga.

Sur la route qui l’emmena vers les Tartares, Jean du Plancarpin et sa petite troupe reçurent l’assistance de grands nobles chrétiens et de rois. Il croisa ainsi la route du roi de Bohême, Venceslas Ier, lui conseillant de se diriger vers la Pologne où de proches parents pourront, à leur tour, faire entrer les frères en Russie. Accompagnés d’une escorte royale, leur route passa par Mazovie, une ville à l’ouest de Varsovie, où ils furent invités par le duc des lieux à se reposer quelques jours. La chance leur sourit, puisque résidait également dans la demeure du duc un grand noble russe, le seigneur Vassili dit « duc de Russie ». Grâce à l’aide de ces deux personnages, et sans doute à d’autres, Jean du Plancarpin et ses compagnons ont appris qu’il était dans la pratique diplomatique des Mongols que de recevoir des cadeaux. Sans ces présents, l’ambassadeur était tenu en piètre estime et n’était pas autorisé à avancer au-delà. Ils cherchèrent alors sur leur route à acheter des peaux et des fourrures grâce à l’aumône qu’ils avaient recueilli pendant leur voyage, et reçurent plusieurs dons des princes et ecclésiastiques pour les aider à rassembler ces cadeaux. Puis ils reprirent la route en suivant le duc Vassili qui avait accepté, « […] avec grand plaisir », de les faire passer chez les Tartares. Le voyage les emmena jusqu’à Kiev où sur le chemin, ils semblent qu’ils aient été poursuivis par des Lituaniens, peuple balte et païen craint pour ses raids, et soient tombés assez gravement malade, sans pour autant s’arrêter « […] afin de ne pas retarder cette mission au service du pape et de la chrétienté ». A Kiev, ils rencontrèrent un commandant de l’armée mongole, la ville avait été prise par les nomades quelques années plus tôt, en 1240. Ce chef leur a très sans doute donné des chevaux capables de supporter les privations des steppes, vers lesquelles ils partirent.

Et les voilà quittant enfin les terres chrétiennes en direction des « […] nations barbares ». D’après l’écrit de Plancarpin, ils ont été volés par un chef peu scrupuleux sur la route, leur faisant un lourd chantage pour les amener chez son supérieur, qu’ils finirent par rencontrer. Cependant, ce n’était encore là que des chefs de troupes, plus ou moins importantes, qui n’avaient pas le pouvoir de répondre aux questions du franciscain. Il fut donc envoyé vers le véritable seigneur de ces régions, Batu, un des petits-fils de Gengis-Khan. Plancarpin écrit qu’ils ont repris la route le 26 février pour n’arriver que le 4 avril vers la Volga, et ce malgré le fait de changer plusieurs fois par jours de chevaux. Il y avait en effet au sein de l’Empire mongol un système de circulation et de poste nommé le Yam, qui demandait une organisation particulièrement rigoureuse. Cette administration était utilisée pour transmettre les informations et lettres impériales, mais aussi pour accélérer le voyage des ambassadeurs et autres personnages d’importance. Ce système de poste s’est très largement développé au sein de l’Empire nomade, facilitant grandement les interactions et communications à la fois entre les individus, mais aussi pour les techniques, les objets et les idées.


Artiste non-identifié, MONGOL AVEC UN CHEVAL ET UN DROMADAIRE. Peinture durant la dynastie Yuan (1271-1368), Chine, The Metropolitan Museum of Art, département des arts asiatiques, collection de A. W. Bahr, Purchase, Fletcher Fund 1947, New York, N°47.18.139.

Batu les reçut dans sa tente après les avoir fait passer entre deux feux, pratique chamanique des nomades pour purifier les individus et leurs cadeaux s’ils étaient empoisonnés ou enchantés. Le prince mongol a l’air d’étonner les frères, dont Plancarpin. Il tient une longue description d’une page et demie usant de terme plutôt favorable à Batu. L’homme est considéré par le missionnaire comme un personnage sagace et cruel en combat mais bienveillant en temps de paix, une mesure pour un mongol qui, jusque ici, n’avait pas été évoquée par Plancarpin. Après avoir expliqué le pourquoi de leur venue, Batu décida qu’il n’était pas de son pouvoir de traiter une telle affaire. Ils repartirent quatre jours plus tard, le chef mongol les avait envoyés voir l’empereur en personne.

Ils quittèrent ainsi la région de la Volga pour s’engouffrer uniquement dans le monde des steppes, un monde particulièrement insolite pour des latins. Le fait que Plancarpin, alors même qu’il devait se rendre compte de la réalité de ces espaces et des individus qui l’habitaient, continuait d’user des légendes du bestiaire chrétien montre peut-être cette difficulté à voir un monde nouveau sans repères culturels. Le frère relais ainsi des récits mythiques au milieu d’une liste de peuples bien réels, il écrit alors à propos d’un peuple d’hommes à tête de chiens, dans les déserts d’Asie, ou d’un peuple entièrement chien, qui plonge dans l’eau en hiver pour faire geler leur peau, et ainsi se créer un bouclier contre les flèches. Il nomme aussi des espaces où le soleil fait un bruit si grand, quand il se lève, que les hommes et femmes de ces régions ne peuvent que vivre sous terre. Ce chemin faisant, Jean du Plancarpin prend le temps de repérer, réfléchir et reconstruire le monde pour tenter de donner des informations, et ainsi savoir où il se trouve. Il mentionne avec une bonne exactitude un certain nombre de lieux où vivent des peuples, semble avoir compris les enjeux de certaines des guerres tribales des nomades, et de l’importance de Gengis-Khan pour les Mongols eux-mêmes.

Steppes à l’est de la Mongolie

Enfin trois semaines après être entrés sur le territoire des Mongols, Plancarpin et ses compagnons arrivèrent le 22 juillet à Karakorum. En réalité, ils restèrent à l’écart de cette ville située au milieu des steppes, parce qu’avait lieu l’élection d’un nouvel empereur mongol, le Quriltaï. Il décrivit pour la première fois cette cérémonie, sur les habits magnifiques des hommes et femmes mongols, sur le protocole d’élection et les coutumes nomades ou encore, sur les autres ambassadeurs présent à la cour. Il nomme ainsi des princes de Russie venus en personne, les fils du roi de Géorgie ou encore des envoyés du calife de Bagdad, évoquant le chiffre de plus de 4 000 ambassadeurs présents pour l’évènement. Ils durent patienter un bon mois, d’après le texte, avec les autres « invités » non-nomades avant que le nouvel empereur, Güyük, soit élu durant l’été 1246. Quelques mois passèrent également avant qu’ils soient invités à réexpliquer leur cas aux scribes et intendants de l’Empire. Finalement, une lettre traduite du mongol fut recopiée par les frères à l’intention du Pape et de sa cour et ils reçurent l’autorisation de partir. Jean du Plancarpin et ses compagnons ont aussi remarqué la présence de chrétiens chez les « proches » de Güyük, avec même une chapelle dans la tente de l’empereur où « […] l’on chante au vu de tous ». Il nomme ici des chrétiens grecs, appelés aujourd’hui orthodoxes, qui étaient présents auprès de certaines élites Turco-mongoles. Le contact avec la foi chrétienne ne se réalisait pas uniquement avec les chrétiens de l’Eglise grecque, romaine ou russe. Il existait également en Asie, depuis les IVe et Ve siècles, des communautés chrétiennes, les nestoriens, y compris chez les nomades eurasiatiques.

Ils prirent donc le chemin du retour, le 13 novembre 1246, avec sans doute le même itinéraire que celui de l’aller et arrivèrent de nouveau chez Batu le 9 mai 1247, puis à Kiev le 9 juin de la même année. Selon ce qu’écrit Plancarpin, la foule s’empressa de les saluer dans tous les pays qu’ils traversèrent, apprenant que les ambassadeurs avaient survécu. Les nobles russes, qui les avaient aidés sur leur route, leur firent une grande fête de réjouissance. Mais peut-être que Jean du Plancarpin était un peu moins enjoué car il apportait avec lui la lettre de l’empereur mongol, une lettre où était rappelée la grandeur de l’Empire nomade et la demande de soumission du Pape et celle de tous les princes de l’Occident. Il avait vu les Tartares, vu leurs mœurs, leurs techniques militaires et la puissance qu’ils pouvaient déployer. C’était d’ailleurs pour cela qu’il était parti en Mongolie, pour apprendre et recueillir des informations en vu, cette fois-ci, de se préparer à la prochaine invasion des Tartares car la menace lui semblait bien réelle, et elle l’était. Tout son récit est alors fondé sur ces intentions pragmatiques, mieux connaître les Turco-mongols pour mieux les combattre. Cependant, grâce à ses observations et ses remarques écrites, son récit est particulièrement riche pour comprendre certains aspects de la vie des nomades, de la chasse au système politique impérial.

ANUSHIRVAN MONTRE SES TALENTS D’ARCHER DEVANT LES PORTES DU PALAIS, Abu’l Qasim Firdausi, Le Grand ilkhanide Shahnama, Le livre des Rois, Iran ou Irak, vers 1300-1330. Beatty Chester Library, Persian collection, Dublin, Per 104.65.

Il arriva finalement à Lyon en novembre 1247 où il fut salué par le nouveau pape, Innocent V, pour ce voyage si long et dangereux. Pour le remercier de ses efforts, Jean du Plancarpin reçut la bénédiction papale et fut élevé au rang d’évêque d’Antivari, un évêché situé dans le Monténégro actuel, sur les bords de l’Adriatique. On ne sait rien de plus de ce qu’il a fait ou été par la suite, mais sans doute avait-il acquis une large réputation pour être le premier ambassadeur du pape à revenir vivant des steppes.

La future expédition Turco-mongole contre l’Occident n’eut finalement pas lieu ou du moins, jamais comme les précédentes. L’empereur Güyük, qui semblait très intéressé par l’Occident, décéda en 1248 et les crises politiques entre les élites de l’Empire mongol finirent de laisser ces projets d’invasions lettre morte. Cependant, les relations entre l’Empire mongol et l’Occident chrétien ne furent pas seulement militaires, loin de là. De très nombreux échanges diplomatiques et commerciaux, des projets d’alliances ou encore des voyages de missionnaires et autres individus prirent aussi place durant les XIIIe et XIVe siècles. Ces rapports furent d’ailleurs tous particulièrement denses avec d’autres entités territoriales et politiques mongoles : les Ilkhanides, en Perse et en Azerbaïdjan, et la Horde d’Or, dans les régions de la Mer Noire avec la Volga comme centre politique. Mais les relations listées ici ne comptent que pour la période médiévale, et les décennies et siècles ultérieurs ont vu des interactions toutes aussi importantes et plus nombreuses avec l’ensemble de l’Empire mongol, et une plus large partie de l’Asie.

Caravane voyageant vers l’Asie lointaine. Cresques Abraham, Atlas catalan, 1375, BNF, département des manuscrits, Paris, Espagnol 30.

Pour aller plus loin:

  • RICHARD Jean, BALARD Michel, La papauté et les missions d’Orient au Moyen âge: XIIIe-XVe siècles. École française de Rome, Rome, 2019.
  • ROUX Jean-Paul, Histoire de l’empire mongol. Fayard, Paris, 1993.
  • TANASE Thomas, Dans l’Empire mongol. Anarchasis, Toulouse, 2014.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *